La Grèce aujourd’hui : un antisémitisme enraciné

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La haine grecque des Juifs ne date pas d’hier. Remontant à l’antiquité, elle a d’abord été d’ordre philosophique (ontologique) et métaphysique. Avec l’arrivée de l’orthodoxie chrétienne, une dimension religieuse et spirituelle s’y est ajoutée. Aujourd’hui, la Grèce reste un pays très ouvertement antisémite, aboutissement de plusieurs milliers d’années d’histoire conflictuelle opposant universalisme à particularisme.

Sur les 50.000 Juifs vivant en Grèce avant la Seconde Guerre Mondiale, principalement à Salonique, 86% ont été assassinés par les nazis. Mais cette extermination, à peine évoquée dans les livres de classe, reste largement tabou dans le pays.

Les causes actuelles

Plusieurs facteurs expliquent la perduration de l’antisémitisme en Grèce de nos jours alors que la communauté juive ne compte plus que 6.000 membres. Premièrement, le facteur religieux. En effet, le rôle de l’église pèse considérablement. Aujourd’hui encore, l’Église orthodoxe, très largement majoritaire en Grèce, continue dans sa liturgie d’insister sur le caractère «déicide» des Juifs, «peuple impie et illégitime» – une conception pourtant abandonnée par l’Église catholique au Concile de Vatican II. De plus, l’Église orthodoxe pratique toujours à travers tout le pays, le rituel de la mise à mort de Judas (surnommé par la foule «le Juif ») au moment de Pâques.

Pas plus tard qu’en août 2008, dans le cadre de son sermon en l’honneur de la fête de la Vierge Marie, l’archevêque du Pirée a fait entendre des réflexions antisémites. En vertu d’une nouvelle loi du gouvernement grec permettant l’incinération post-mortem, l’archevêque a comparé cette pratique à la construction par le gouvernement hitlérien de fours crématoires pour brûler «l’image de Dieu». Selon l’archevêque du Pirée, les coupables d’une telle décision sont «les chefs sionistes», représentants de Lucifer qui essayent de corrompre le monde et de lui imposer une religion d’obscurité.

Deuxièmement, au niveau politique, le gouvernement grec ne procèdent à aucune surveillance systématique des incidents antisémites, n’effectue aucune recherche ni statistiques. Toutes les informations obtenues proviennent d’organisations représentatives juives, d’ONG ou des médias.

En Grèce, il n’existe pas non plus de conformité avec la Directive de l’Union européenne relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes, sans distinction de race ou d’origine ethnique. Une législation est toujours en attente. Pour l’heure, la motivation raciste n’est pas un facteur aggravant dans un crime.

Pourtant, la Grèce s’est dotée d’une législation antiraciste en 1979. Mais jusqu’en décembre 2007, elle n’a jamais été appliquée.

Les conséquences

La dernière décennie a été riche en manifestations antisémites de tous genres.

Après le 11 septembre 2001, on peut lire dans la presse grecque les accusations folles d’une complicité juive ou israélienne dans le complot pour attaquer l’Amérique.

En pleine seconde Intifada, les journaux évoquent régulièrement le «génocide des Palestiniens», l’«Holocauste en Palestine» et les «bêtes humanoïdes israéliennes» selon leur propre terminologie.

Fin mars 2002, le député socialiste et ancien Ministre grec des Affaires Etrangères, Théodoros Pangalos, emmène dix-sept parlementaires manifester pour la énième fois devant l’ambassade d’Israël à Athènes, contre la politique israélienne.

En avril 2002, l’organe de la gauche progouvernementale de Grèce publie la caricature d’un soldat nazi portant une étoile de David. Ce soldat menace un Arabe affublé de l’uniforme rayé des prisonniers de camps de concentration. Sous le titre «Holocauste II», la légende indique : «La machine de guerre de Sharon s’efforce de perpétrer une nouvelle Shoah, un nouveau génocide».

Ce genre de caricatures est assez fréquent en Grèce où l’antisionisme et l’antisémitisme se confondent.

Toujours la même année, à Ioannina des tombes juives sont profanées et des vandales jettent de la peinture sur le monument commémoratif de l’Holocauste à Salonique. Un autre monument de l’Holocauste nouvellement inauguré sur l’île de Rhodes est aussi profané en juin 2002.

En 2003, « Mort aux Juifs » est de nouveau tagué sur le mémorial de l’holocauste au cimetière juif de Ioannina (comme en avril 2002) et le Monument de l’Holocauste de Thessalonique est dégradé pour la deuxième fois.

Le rapport 2002-2003 sur les manifestations d’antisémitisme dans l’Union européenne indique qu’en Grèce, si les agressions physiques et les violences ont été absentes ou relativement rares, le discours antisémite reste toutefois particulièrement virulent dans de nombreux aspects de la vie quotidienne.

La commission indique qu’il règne en Grèce une atmosphère d’«antisémitisme populaire», primaire et vulgaire : une grande partie du public grec adhère aux thèses du complot de la domination mondiale des Juifs et l’église orthodoxe continue à inclure des références anti-juives dans le rituel liturgique du Vendredi saint. Le rapport relève le paradoxe que l’absence apparente ou la relative rareté des incidents violents s’accompagne d’un discours quotidien antisémite extrêmement déplaisant, qui est assez répandu parmi la population générale.

En septembre 2005, un festival de "rock nazi" est programmé dans la ville de Meligalas, réputée pour ses sympathies d’extrême droite. Cette information provoque l’indignation des autorités israéliennes qui demandent l’annulation de ce "festival". Le gouvernement grec, par l’intermédiaire de son Ministre de l’Intérieur, fait néanmoins savoir qu’il ne lui est légalement pas possible d’interdire cette manifestation néo-nazie qui rassemble plusieurs milliers de militants et sympathisants d’organisations fascisantes venus de toute l’Europe.

La même année en novembre, à Athènes, à l’entrée du parking du tribunal de la ville, apparaissent des inscriptions antisémites : ‘’les étranger dehors, Juden raus, écrasez les sionistes, putes juives, préparez-vous au gibet’’ signées du nom du parti néonazi. Le groupe GHM (Greek Helsinki Monitor) envoie une lettre ouverte au Premier ministre grec pour protester contre ces graffitis.

En août 2008, la communauté juive de Grèce proteste à nouveau auprès des autorités après la diffusion sur Internet d’une vidéo montrant la profanation d’un mémorial de la Shoah à Rhodes (un adolescent urinant sur le monument), sur fond de chant violemment antisémite, revendiquée par un groupe de lycéens local.

Un sursaut juridique

Il faut attendre la mi décembre 2007, pour qu’enfin la justice grecque condamne un néonazi, Constantin Plevris, avocat de profession, à 14 mois de prison avec sursis pour injure raciale, incitation à la haine et à la violence raciale dans son livre paru en 2006 ‘’Les Juifs – Toute la vérité’’. L’ouvrage nie l’Holocauste, fait l’apologie des nazis et menace les Juifs qualifiés de «sous-hommes» et d’«ennemis mortels» méritant «le peloton d’exécution».

C’est une première dans un pays où les préjugés contre les Juifs ont la vie dure et s’expriment ouvertement. En effet, en Grèce la littérature antisémite comme le Protocole des sages de Sion circule librement. Des télévisions privées offrent souvent leur tribune aux idées politiques d’extrême droite.

Le Conseil central juif de Grèce (KIS), qui fait du procès un test de la détermination des autorités grecques à lutter contre l’antisémitisme et le négationnisme, se félicite finalement de cette décision. En espérant que cette décision ne reste pas une exception au pays ‘’berceau de la civilisation occidentale’’.


Noémie Grynberg 2008