Le choix de l’école juive en France : une question d’identité

Aujourd’hui, la communauté juive de France compterait 108.400 jeunes en âge scolaire de 3 à 18 ans. D’après les chiffres relevés en 2002, plus de 28.000 d’entre eux (soit 26,2%) étudieraient en écoles juives. Ceci représente une augmentation de plus de 78% par rapport à 1986-1988. Une des conséquences de la scolarité en milieu juif serait un taux moindre de mariage mixte. Ainsi, il existerait une corrélation entre fréquentation d’école juive et mariage endogame1.

En France, la tendance générale de l’école publique est orientée vers la construction d’une identité nationale et non vers celle de sous-cultures. C’est pourquoi elle est fortement tournée vers des valeurs de citoyenneté, de laïcité et d’universalisme, ce qui pose un problème aux familles juives traditionnalistes, non seulement au sujet des cours dispensés le samedi mais également concernant l’interdiction du port d’insignes religieux (kippa, tsitsit) au sein des établissements2.
Selon le sociologue Erik Cohen, les parents qui optent pour l’école juive répondent  au double souci d’une réussite scolaire et d’un désir de donner une éducation juive à leurs enfants3. En effet, les résultats au baccalauréat supérieurs à la moyenne nationale sont un facteur pris en compte.
Cette dernière décade, l’amélioration des standards académiques des écoles juives, la subdivision partielle de l’enseignement en écoles confessionnelles, l’augmentation de la consommation de drogue, les violences et incidents antisémites ont contribué à l’éclosion des écoles juives qui attirent même des familles non religieuses4.
Environ 50 % des jeunes Juifs français passent par une école juive au cours de leur scolarité5 (du jardin d’enfant au lycée en passant par l’école primaire). Ce pourcentage très élevé  est un trait central et spécifique de la judéité française. Contrairement à la plupart des autres pays, la majorité des élèves formés dans les écoles juives primaires continuent leurs études dans le cadre d’une école juive secondaire6.
Les établissements d’enseignement juif sont principalement présents dans une trentaine de départements comprenant une communauté juive. Dans les départements qui en sont dépourvus, les écoles confessionnelles y sont presque inexistantes faute de suffisamment d’élèves. En effet, ceux-ci ne représenteraient que 1,5% de l’ensemble des élèves scolarisables en écoles juives7.
Ceux qui ont fréquenté les écoles juives resteraient plus proches de la communauté à l’âge adulte, même si tous ne pratiquent pas ou moins. Ceux qui n’ont pas eu cette occasion ou qui ont quitté ces établissements tôt semblent s’en éloigner peu à peu, ce qui ne les empêche pas forcément de pratiquer.
Les élèves des écoles juives affichent également une plus grande proximité avec Israël où ils vont souvent en vacances. Ils sont aussi plus enclins à vouloir y faire leur alya.
La fréquentation de l’école juive a des répercussions sur la famille. En effet, les parents d’enfants qui y sont scolarisés sont plus impliqués dans la communauté, écoutent davantage les radios communautaires, lisent plus la presse juive, font plus de volontariat, sont plus pratiquants. La fréquentation de l’école juive a donc des conséquences sur le renforcement religieux des parents et sur leur niveau de pratique. Ces familles affichent des valeurs traditionnelles juives : fonder un foyer, honorer ses parents, croire en dieu, aides les autres8.

Rétrospective d’un boom scolaire
Entre 1950 et 1978, le nombre d’élèves dans les écoles juives est passé de 400 à 7.992. Trois événements permettent expliquent ce bond. Premièrement, dans les années 1960, suite à la décolonisation de l’Afrique du Nord, l’arrivée massive des Juifs du Maroc, de Tunisie et surtout d’Algérie redynamise la communauté juive de France. Ensuite, la guerre des Six-Jours a constitué un tournant identitaire important lors duquel de nombreux Juifs prennent conscience de leur judéité. Ainsi, dans les années 1967-1971, l’école juive est perçue comme un lieu de préparation à la alya non seulement des élèves mais aussi des enseignants de ces écoles. Troisième évènement, la “ révolte ” de mai 1968 et ses conséquences sur le mode de vie dans les lycées. L’atmosphère de contestation permanente, l’introduction des drogues, la baisse du niveau des études, l’antisionisme marqué de nombre de lycéens et un laisser faire généralisé ont apeuré plus d’un parent. Face à cette image d’un lycée problématique, le lycée juif se présente comme un havre de paix, tant du point de vue des études que de la qualité des relations humaines entre élèves eux-mêmes et entre élèves et enseignants. Quoiqu’il en soit, dès 1969, les demandes d’inscription dépassent largement le nombre de places disponibles dans le secondaire juif. Cela ne s’était jamais vu en France9. Ainsi, dans les années 70-80, le Fonds Social Juif Unifié (FSJU) devient un des artisans essentiels du boom des écoles juives.
Au cours des années 1980-1990, 50 nouveaux réseaux scolaires se constituent. On assiste à une augmentation considérable des écoles communautaires (+ 16 groupes scolaires), Loubavitch (+ 10 groupes scolaires), orthodoxes (+ 15 groupes scolaires). D’autres se renforcent comme les réseaux du Consistoire (+ 4 groupes scolaires) ou se stabilisent10.
La meilleure motivation des parents pour inscrire leurs enfants dans ces écoles est le fait de pouvoir créer un contact fort et réel avec Israël11.
Mais en 2001-2005, pendant les années de la seconde Intifada, le climat change radicalement pour la communauté juive de France. Alors qu’elle se croit pleinement intégrée, sa citoyenneté est remise en cause. Il y a malaise et une certaine fissure entaille la confiance mutuelle entre communauté nationale française et communauté juive.
Les jeunes Juifs de France deviennent les principales victimes de la vague d’antisémitisme qui sévit dans l’Hexagone. Se sentant mal aimés de la République, la jeunesse juive vit un processus d’ancrage identitaire. Elle devient de plus en plus nombreuse à fréquenter les structures éducatives juives12.
Ainsi en 2003, une centaine de groupes scolaires juifs incorporant au total 256 établissements accueillent environ 30.000 élèves, soit 30 % des jeunes Juifs appartenant à la couche d’âge correspondante13.
En 2004, les statistiques démontrent que pour les seuls mois de mai-juin, plus de 30% des actes de violence à caractère raciste sont des actes contre les élèves juifs. Les autorités françaises, avec un certain retard, reconnaissent finalement que le nombre d’actes et violences antisémites est bien supérieur à la moyenne nationale enregistrée dans les établissements scolaires. Dans les écoles publiques, un peu plus de 20% des actes de violence sont en effet  à caractère antisémite.
Cette dégradation du climat sécuritaire et social fait basculer parents et élèves vers le choix de l’école juive pour deux raisons principales : un environnement entièrement juif et la possibilité de respecter shabbat. Les jeunes qui les fréquentent témoignent que l’ambiance de ces établissements ressemble à une grande famille. Ils n’y éprouvent pas de sentiment d’enfermement14.

2008 : tendance inverse, nouvelles attentes
Selon l’enquête d’E. Cohen pour le FSJU, la fréquentation scolaire départage la jeunesse juive de France. C’est elle qui la scinde entre culte juif ou culture jeune. Ainsi les aînés constatent une évolution de la jeunesse actuelle par rapport à leur propre enfance : soit un renforcement religieux, soit au contraire un manque d’intérêt et d’engagement communautaire, d’investissement bénévole social. La jeunesse ayant fréquenté les écoles juives, bénéficie en effet d’une éducation juive mais n’est pas ou peu impliquée dans la vie communautaire ou associative. Sortie de la synagogue, elle ne reste pas active dans la communauté comme c’était plus le cas dans les années 1960 à 1980.

Aujourd’hui, les écoles juives ne semblent plus correspondre aux attentes de la moitié des parents qui s’en détournent. Fait nouveau, alors que traditionnellement elles étaient considérées de meilleur niveau que la moyenne nationale française, elles déçoivent les parents par leurs contenus, leur prix et la sélection des élèves. Plusieurs parents enlèvent leurs enfants des écoles juives à cause soit du niveau jugé insuffisant, soit à cause d’une trop grande orthodoxie qui les rebute. Certains préfèrent mettre leurs enfants en écoles privées catholiques car le niveau y est supérieur et les enfants ne sont pas contraints de suivre des cours de religion. D’ailleurs cette  tendance semble s’être renforcée en 2008 par rapport à 2002. C’est la première fois que des parents se plaignent d’une chute de niveau des écoles juives. Ils expliquent le phénomène en dénonçant un problème d’orientation de l’enseignement. Ils souhaitent donc un meilleur niveau général et un cadre moins strict : ouverture à des activités extra scolaires, amélioration de la pédagogie.
L’autre explication de la chute du niveau de l’enseignement en école juive proviendrait  du recrutement, de la sélection et de la formation des professeurs. Beaucoup de parents se plaignent de leur niveau lamentable qui n’ouvre pas l’esprit aux enfants. Au lieu d’enseignants se contentant de répéter et d’ânonner les cours, les parents souhaitent de vrais instituteurs formés et compétents.
Ils souhaitent donc d’autres structures scolaires, d’autres orientations juives et plus de moyens.
Les parents en plus d’espérer une forte augmentation du nombre des écoles juives en France, jugé insuffisant pour l’instant, attendent par conséquent une plus grande diversité et un plus grand pluralisme dans le l’offre proposée.
Enfin, le problème du prix des écoles juives reste une constante depuis 2002. Beaucoup de parents le trouvent trop élevé et ne peuvent se permettre d’envoyer leurs enfants dans ces établissements. Ils attendent une baisse du prix de la scolarité afin que le choix de l’enseignement juif ne devienne pas une sélection sociale et une question argent.
Ainsi, face à la critique d’un trop grand élitisme (financier ou scolaire), certains parents demandent à ce que l’école juive donne aussi la chance aux plus démunis et aux enfants à problèmes rejetés par l’école publique car cette sélection contraint des familles à se tourner vers le privé catholique qui accepte toutes les confessions.
Le choix de l’école juive tourne en définitive autour de la question de l’identité. Aujourd’hui, la communauté juive ne souhaite plus reléguer uniquement sa pratique religieuse au sein de la sphère privée .