Seconde Intifada en France : l’explosion d’une nouvelle haine antisémite

L’antisémitisme, version profane de l’antijudaïsme antique, est singulier de par sa pérennité et son intensité. Cette haine fédère les contraires. Elle est présente à gauche, à droite, chez les chrétiens et chez les musulmans, chez les Blancs et chez les Noirs, chez les riches comme chez les pauvres. C’est ainsi que 55 ans après la fin de la Shoah, il est de bon ton aujourd’hui de se déclarer « anti-sioniste », prétexte à une nouvelle forme idéologique politique de l’antisémitisme primaire. La France, laboratoire européen du révisionnisme et fer de lance de ce combat anti juif, a été le triste théâtre depuis 2000, de violences haineuses contre une communauté paisible, intégrée et citoyenne qui se croyait à l’abri des démons de l’Histoire.

Les actes antisémites en France ne sont pas un phénomène nouveau. Déjà en 1980 à Paris, l’attentat de la rue Copernic contre la Synagogue Libérale ou celui de la Rue des Rosiers en1982 avaient délibérément visé des cibles juives. Pourtant, la législation française dès 1990 adopte la loi tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe avec en particulier, la création du délit de contestation de crime contre l’humanité : le négationnisme.

Aujourd’hui de Le Pen à Ramadan, les mouvements politiques extrémistes de droite (groupements néo-nazis et skinheads) ainsi que la propagande islamiste sont l’une des sources du nouveau visage de l’antisémitisme en France. Mais son véritable tournant depuis une dizaine d’année s’est surtout cristallisé à partir de 2000 autour du conflit israélo-arabe. L’antisémitisme théologique classique de droite anti-judaïque et racial a peu à peu laissé place à une idéologie de gauche anticolonialiste, anticapitaliste tiers-mondiste, doublé du prétexte antisioniste, relayé par l’islam. Ce climat tout à fait particulier a réactivé des haines que l’on croyait presque définitivement assoupies. Plus d’un demi siècle après la Shoah, la parole trop longtemps entravée s’est à nouveau libérée. La sémantique elle-même a changé. On ne parle plus d’antisémitisme mais d’antisionisme, de judéophobie, d’anti-judaïsme. On ne dit plus « Juif » mais « sioniste », « pro-israélien » ou « néo-conservateur ». Une multitude de sites Internet publient des listes de personnalités juives ou supposées telles ainsi que du rap antisémite. Jusqu’en 2003, alors que les autorités françaises nient la résurgence du phénomène antisémite en France suite au déclenchement de la seconde Intifada en Israël, la violence des actes antisémites est d’abord qualifiés ”d’incivilités’’.

En effet, Meir Waintrater (L’Arche n° 577) remarquait que les actes antisémites sont niés comme tels s’il y manque un soubassement idéologique ou une structure organisationnelle. Or il suffit qu’une agression soit tournée contre un Juif pour qu’elle soit effectivement antisémite. Il s’opère donc une délégitimisation citoyenne des Juifs à l’instar de la délégitimisation d’Israël dans le concert des nations. Ces images négatives sont largement reprises et diffusées par les médias et certains milieux militants.

La seconde Intifada et la résurgence de l’antisémitisme

Entre 2000 et 2004, le CRIF à l’examen des courbes annuelles des actes antisémites a confirmé que leur survenance était étroitement liée à l’actualité du Proche-Orient.

En 2001 sous le gouvernement socialiste, les attaques violentes, notamment les incendies de synagogues et les dégradations d’écoles, de magasins et de domiciles juifs sont en forte hausse.

Shmuel Trigano dénonce dans le Bulletin n°1 de l’Observatoire du monde juif en novembre 2001, les incidents dont les communautés juives sont victimes depuis près d’une année. De son côté, l’Union des Etudiants Juifs de France et SOS Racisme publient Les Antifeujs. Livre blanc des violences antisémites en France depuis septembre 2000. Certains médias français réagissent tardivement (Le Monde février 2002) en publiant une liste relevée deux mois auparavant par le CRIF (Conseil Représentatif des Juifs de France) de 300 « actes hostiles » commis contre des Juifs en région parisienne entre septembre 2000 et novembre 2001. Les données recueillies en 2002 montrent que 21% des Juifs de France ont souffert personnellement de l’antisémitisme au cours de ces cinq dernières années.

Des intellectuels juifs comme Alain Finkielkraut ou non juifs comme Pierre-André Taguieff montent alors au créneau pour dénoncer le silence des pouvoirs publics face aux actes de violence délibérément antisémites dont est victime la communauté juive de France. Taguieff redéfinit alors l’antisémitisme actuel dans La Nouvelle judéophobie paru en 2002 comme un phénomène religieux et géopolitique plutôt que comme ethno-racial. Selon lui, cette vague antisémite post-nazie, prend une forme tout à fait nouvelle : héritière des arguments traditionnels de l’antisémitisme, elle allie antisionisme et processus d’islamisation. Quant à Alain Finkielkraut dans son livre Au nom de l’Autre : Réflexions sur l’antisémitisme qui vient écrit en 2003 : ‘’Il faut du courage pour porter une kippa dans ces lieux féroces qu’on appelle cités sensibles et dans le métro parisien ; le sionisme est criminalisé par toujours plus d’intellectuels, l’enseignement de la Shoah se révèle impossible à l’instant même où il devient obligatoire, la découverte de l’Antiquité livre les Hébreux au chahut des enfants, l’injure "sale juif" a fait sa réapparition (en verlan) dans presque toutes les cours d’école. Les Juifs ont le cœur lourd et, pour la première fois depuis la guerre, ils ont peur’’. Cette crainte n’est pas infondée puisqu’elle aboutit en 2003 au meurtre de DJ Lam C (Sébastien Guéry-Sellam), un disque jockey juif de 22 ans du Xe arrondissement de Paris, par un jeune beur de sa cité, reproduisant le mode opératoire du lynch de Ramallah de 2000.

La réponse de l’intelligentsia et des médias de gauche à ce cri d’alarme ne se fait pas attendre : les Juifs sont taxés de communautarisme !

Cependant en 2003, la France adopte le Décret permettant la création du comité interministériel de lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Suit en 2004, la loi qui facilite l’adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité précisant cette circonstance aggravante quand l’infraction est “précédée, accompagnée ou suivie de propos, écrits, images, objets ou actes” racistes ou antisémites. La loi prévoit différentes sanctions pénales allant de l’amende à l’emprisonnement. Cela n’empêche pas le CRIF en 2004, de constater que antisémitisme s’ancre de manière structurelle.

Selon le rapport 2005 de La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), mise en place par Dominique De Villepin alors Premier ministre du quinquennat Chirac, l’antisémitisme connaît une hausse de 6 % depuis les 10 dernières années. Les Juifs ont subi à eux seuls plus de la moitié des violences racistes, c’est-à-dire qu’ils sont 10 fois plus exposés que les autres communautés de France.

L’expression plus violente de l’antisémitisme suscite les inquiétudes de la CNCDH. En effet, plus que les menaces, ce sont les actions violentes qui ont augmenté de 35 % entre 2005 et 2006. On relève aussi que parmi les actes de violence, le nombre d’agressions contre les personnes a pratiquement doublé pour la même période. Selon le CRIF, cela représente une augmentation de 45 % des agressions physiques par rapport à 2005. Le comble de l’horreur et de la folie antisémite est atteint à Bagneux en banlieue parisienne, avec l’assassinat après torture d’Ilan Halimi, jeune Juif français, par le « gang des barbares » au seul motif qu’il est Juif et donc qu’il a de l’argent. Vieux poncif éculé remis au goût du jour.

Encore en 2006, on note également un doublement des menaces envers les personnes physiques. Toujours selon le CRIF, on observe une hausse de 71 % des insultes par rapport à 2005.

Mais la CNCDH constate parallèlement une baisse continue de la violence antisémite dans le milieu scolaire. Les services de police et de gendarmerie enregistrent une hausse de 2 % des actions graves en milieu scolaire et une baisse de 37 % des menaces.

Globalement l’année 2006 est marquée par un nombre toujours relativement élevé, bien qu’en légère baisse, d’affaires à caractère antisémite.

Enfin en 2007, la déferlante des violences contre la communauté juive de France semble jugulée. Le rapport du Service de Protection de la Communauté Juive (SPCJ) annonce d’emblée une baisse quantitative notable, presque d’un tiers, du nombre des actes antisémites.

Malgré cette apparente accalmie, tout dernièrement, le sous-préfet de Saintes (Charente-Maritime), Bruno Guigue a publié sur le principal site Internet de l’islam francophone, oumma.com qu’"Israël est le seul Etat au monde dont les "snipers" abattent des fillettes à la sortie des écoles […] (et où) grâce à la loi religieuse, on s’interrompt de torturer durant le shabbat». Suite à ses propos, il a été limogé par son ministre de tutelle.

Au vu de cet incident, il semble que la haine d’Israël et de son peuple reste toujours aussi vivace.

 

Noémie Grynberg 2008