Les nouvelles tendances du cinéma israélien

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Malgré l’intifada et les difficultés politiques, la production cinématographique ne s’est pas totalement effondrée cette année. En dépit des problèmes financiers qu’il connaît, le cinéma israélien a même prouvé encore une certaine vitalité, notamment lors des derniers Oscars nationaux.

Le bilan de la création visuelle 2001 dans tous les domaines (reportage, téléfilm, court et long métrage) nous a permis de découvrir une diversité digne d’intérêt, parlant à l’âme et racontant pour la plupart de façon sensible et touchante les drames humains qui nous concernent.

Recherche de son identité

Une orientation commune à tous ces films : celle du problème de l’identité sous toutes ses formes : familiale, nationale, religieuse, sociale, culturelle ou politique. « Qui suis-je vraiment et où se trouve ma place ?«  semblent être les 2 grandes questions de la société moderne israélienne. Une nouvelle vague de films se focalise sur les problèmes humains auxquels sont confrontés les nouveaux immigrants, leurs us et coutumes, essayant de s’adapter à leur nouveau mode de vie dans un pays qui doit également faire face aux problèmes d’absorption de chaque nouvelle vague d’arrivants. Evidemment, la gestion des contradictions culturelles engendre parfois incompréhension et heurts. Mais c’est à ce prix que la société parviendra à maturité. Peut-être est-ce pour survivre dans un milieu de plus en plus métissé que chaque culture part à la recherche d’elle-même, de sa mémoire, confrontée à ses mutations inéluctables et au cortège de problèmes qui s’en suivent. Aussi, les nouveaux réalisateurs, pour certains immigrés eux-mêmes, remontent-ils à leur(s) source(s), cherchant leur(s) origine(s) et offrant ainsi une vision pluraliste du mélange des populations qui composent Israël. Loin de renier leurs racines, au contraire, ils les scrutent pour en extraire leur substance. Il en résulte une sorte de « cinéma vérité«  ou « ethnique«  racontant sa propre culture en version originale dans la pluralité de ses coutumes.

Le multiculturalisme de la société israélienne donne naissance à un cinéma fondé sur les dernières mutations sociologiques : les difficultés de l’immigration, de l’insertion, de la double appartenance. Finalement, il en ressort que quelle que soit l’origine, ces dilemmes se posent à chaque génération. En cela se crée une sorte de fraternité entre déracinés. C’est peut-être cela le message commun de toutes les cultures qui se mélangent. Cet enrichissement culturel indéniable se reflète désormais dans le 7 art comme un de ses modes d’expression où les questions identitaires se retrouvent posées. Comment surmonter le déracinement ? Peur, désir, soucis, rêves se heurtent parfois au mur de l’amour et du préjugé.

Vitalité du cinéma israélien

Formidable kaléidoscope de la réalité multiple et parfois insaisissable de cette société, le cinéma témoigne de sa richesse culturelle, révélant ses travers sociaux et sociologiques, exprimant ses aspirations politiques. Comment concilier toutes les contradictions de ce pays ? Jusque il y a une dizaine d’années, le mot d’ordre politique était l’intégration à tout prix, ce qui n’empêchait pas le cinéma de se moquer tantôt des Ashkénazes, tantôt de caricaturer les Orientaux. Mais depuis, il y a un assouplissement du vieux dogme hérité des pionniers qui rêvaient d’une uniformisation de la culture et de la langue. Désormais, chaque culture se développe en parallèle dans sa propre langue d’origine. Ceci constitue une nouveauté dans le paysage israélien d’aujourd’hui.

Chaque œuvre aborde à sa manière les divers problèmes sociaux ou politiques sans y apporter de réponse mais en y posant un regard lucide, distancié ou humoristique. En tout cas, un regard franc qui n’élude pas les questions difficiles et ne se voile pas la face. Autodérision et clair voyance en sont les 2 aspects dominants.

Le problème no 1 en Israël est celui de la violence. Présente partout, la société est rongée par ce mal à tous ses échelons. Mais le plus dramatique reste qu’il gangrène au quotidien la jeunesse : viol, racket, meurtre, drogue, suicide. Injil, basé sur des faits réels raconte l’univers carcéral dur et dramatique des mineurs confrontés à ces dérives.

Autre vision de la jeunesse actuelle : celle de Girafes (prix du meilleur scénario au dernier Festival du Film de Jérusalem) qui raconte l’existence des jeunes de vingt ans à Tel-Aviv, affrontant la réalité de la vie de la grande ville.

Le rêve de coexistence pacifique est une constante dans la mentalité israélienne. Abordé sous 2 angles différents, celui réaliste du documentaire Wadi, Grand Canyon de Amos Gitai et celui satirique et futuriste de Made in Israël, de Ari Folman. Ils se rejoignent cependant dans les aspirations contrariées d’hier, englouties dans une réalité abrupte d’aujourd’hui, et où seul le futur reste l’espoir de temps meilleurs. Dans le premier, Gitai évoque dans sa trilogie, à 10 ans d’intervalle, de 1981 à 2001, les tentatives individuelles brisées d’harmonie ente Israéliens et Arabes, entre tradition et modernité. Les protagonistes évoquent avec nostalgie le temps des illusions perdues. Tourné dans l’oued de Haifa, sa ville natale, le réalisateur a voulu témoigner de son lieu d’origine, revisiter le site. Il utilise la caméra comme un médium permettant de s’interroger sur les contradictions politiques et sociales contrairement à la presse officielle qui renvoie une image déformée de la réalité telle que la vivent les gens simples. Gitai veut son film (3 heures) comme une utopie, une bataille pour résister à ce qu’il appelle lui-même la « mac-donaldisation«  du Moyen-Orient comme idéal de société.

Made in Israël brosse un tableau satirique des travers et absurdités de la société israélienne très proche de la vérité. Paradoxes de la vie israélienne, éternellement ballottée entre drame et joie, entre pleurs et rire, entre gravité et légèreté. Sorte de politique fiction, ce film aspire à un avenir proche de paix globale dans la région ainsi qu’à un règlement de compte définitif avec son histoire.

Passé, présent, futur, le temps en Israël prend une nouvelle dimension. Comprimé en 50 ans ou dilaté en 2000 ans, ici il ne s’écoule pas comme ailleurs. It’s about time, prix Wolgin du meilleur documentaire au FFJ, explore cet espace particulier de la vie israélienne et tente d’expliquer avec humour et raison le pourquoi de l’impatience locale. Le temps est une valeur précieuse ici plus qu’ailleurs.

La mosaïque qui compose la société israélienne, le problème identitaire qui en découle, et la recherche de ses racines se retrouve dans ses films. Ainsi Mariage tardif (prix Wolgin du meilleur long métrage et 3 oscars israéliens : meilleurs interprètes masculin et féminin et meilleur film), Judith – histoire d’une convertie, ou A love beyond words, documentaire sur une communauté religieuse de nonnes cloîtrées dans le silence d’un monastère, à l’écart des turbulences du pays, sont 3 univers totalement différents et opposés, reflétant chacun un fragment de la réalité complexe de la société. Contraste frappant où entre tradition et foi, il est parfois difficile de trouver sa place, de s’intégrer et de vivre en accord avec ses choix. Ainsi, les extrêmes se rejoignent pour témoigner de la diversité du paysage humain d’Israël, de sa relative tolérance et ouverture.

Pour terminer, le contexte politique bien sûr n’est pas absent du paysage cinématographique israélien. Les documentaires Prisonnières ou Between the lines (tous 2 primés au FFJ) explorent la cohabitation journalière difficile israélo palestinienne dans les villes de Hebron et Ramallah, ou quand la routine devient une affaire militaire.

Depuis une décennie, le cinéma israélien a pris son envol et chaque année, on remarque sa constante évolution. Il nous offre une diversité intéressante de points de vue et de sujets, abordés avec insolence, dérision ou sérieux. Il sait nous parler de nous-mêmes, de nos aspirations, de nos défauts, de nos problèmes sans tomber dans le misérabilisme ou l’apitoiement. Lucide, il est le reflet des rêves et des angoisses actuels que traverse la société. On ne peut que l’encourager sur la voie qu’il a choisie de suivre, pour nous faire rire, pleurer, nous divertir ou nous interpeller. 

 

Noémie Grynberg 2001