Benjamin Victor Cohen, l’éminence grise de la politique américaine du XXe siècle

B. V. Cohen

Personnage clé de l’administration Roosevelt et Truman, Benjamin V. Cohen s’est avéré l’un des principaux architectes du New Deal, puis de la diplomatides Etats-Unis pendant la guerre froide. Bien qu’homme de l’ombre, Cohen a influencé la politique américaine intérieure et étrangère du XX siècle. Sa contribution figure à l’origine du libéralisme américain moderne et de sa politique financière nationale, ainsi qu’à l’origine de son développement.

La vie de Benjamin Victor Cohen fournit un prisme à travers lequel comprendre l’évolution de la philosophie politique des Etats-Unis de 1933 à 1953. Brillant avocat réputé pour son bon jugement et son expérience, Cohen a été un des membres dirigeants du "Brain Trust" de Franklin D. Roosevelt, ainsi qu’un conseiller irremplaçable. Homme réservé, il a travaillé dans les coulisses du pouvoir où son aura de juriste a largement été reconnue. Après la Seconde Guerre mondiale, il devient l’un des architectes de l’Organisation des Nations Unies, au service de la délégation des États-Unis et membre de la Commission sur le désarmement. Son intérêt constant pour la paix dans le monde, son dévouement à la résolution pacifique des conflits à travers la planète et sa compétence juridique exceptionnelle ont influencé présidents américains et dirigeants internationaux jusqu’à sa mort en 1983. Ses activités durant les années de guerre à Londres puis à Washington, son poste de conseiller au département d’État et son rôle dans le mouvement sioniste américain ont fait de ce personnage méconnu un pilier de la politique américaine contemporaine.

Né en 1894 à Muncie, dans l’Indiana, Benjamin Victor Cohen est le dernier des cinq fils d’un immigrant polonais, marchand de minerai. Brillant dans ses études, le jeune homme obtient sa licence en philosophie en 1914. L’année suivante, il sort diplômé d’une maitrise de droit à l’Université de Chicago, avant de rejoindre en 1916 la prestigieuse faculté de Harvard. C’est là qu’un de ses professeurs, futur juge de la Cour suprême américaine, voit son potentiel. Grâce à son aide, Cohen devient secrétaire juridique d’un magistrat fédéral. Utilisant son expérience comme tremplin, il est muté comme avocat au Conseil pour les exportations de 1917 à 1919.

De 1919 à 1921, Cohen représente en tant qu’avocat le mouvement sioniste américain à la Conférence de Paix de Paris. Il aide à y négocier le mandat de la Société des Nations pour la Palestine.

En 1933, le démocrate Franklin Roosevelt, nouvellement élu Président des Etats-Unis, convoque le juriste à Washington et le nomme dans la fonction publique, d’abord comme avocat général à l’administration des travaux publics, puis de 1934 à 1941, comme avocat au sein de la Commission nationale de l’énergie. Cohen intègre le fameux ‘’Brain Trust’’ – groupe d’économistes et d’universitaires qui conseille le chef de la Maison Blanche dans les années 1930, pour les décisions politiques. Il contribue de la sorte à la création de plusieurs programmes du New Deal, politique interventionniste mise en place aux États-Unis entre 1933 et 1938 pour lutter contre les effets de la Grande Dépression, soutenir les couches les plus pauvres de la population, réformer les marchés financiers et redynamiser l’économie américaine meurtrie depuis le krach de 1929. Cohen participe ainsi à la mise en place de la Tennessee Valley Authority (TVA), une entreprise chargée de la navigation du fleuve de façon à attirer les industries, du contrôle des crues, de la production d’électricité par la construction de nombreux barrages hydroélectriques et du développement économique de la vallée du Tennessee. Elle restaure l’équilibre écologique de la région par la reforestation, améliore les méthodes de culture et la productivité, embauche une importante main d’œuvre, d’où un impact très bénéfique sur l’emploi.

Cohen devient aussi l’un des architectes juridiques majeurs de la plupart des lois du New Deal. Notamment : le Securities Exchange Act, voté en 1934 et régulant les marchés financiers secondaires, qui débouche sur la création de la Commission des valeurs mobilières. Cette loi fait suite au Securities Act de 1933 qui contrôle les marchés primaires contre la manipulation des échanges boursiers. Ces deux textes tentent de mieux surveiller les flux de capitaux, alors que les États-Unis sont plongés dans une grave crise financière et économique due au krach boursier d’octobre 1929. Ensuite, le National Housing Act (Loi nationale du logement) vise à faciliter l’accès à l’emprunt immobilier. L’objectif est de mettre fin aux nombreuses saisies hypothécaires des banques sur les maisons familiales. C’est dans le cadre de cette loi que la Federal Housing Administration et la Federal Savings and Loan Insurance Corporation sont créées, deux agences gouvernementales fournissant la majeure partie des fonds nécessaires aux emprunts immobiliers. En 1935, c’est au tour de la Loi sur les services publics qui réglemente les grandes entreprises publiques et de la Loi sur l’administration de l’électrification rurale. Puis le Social Security Act (Loi sur la Sécurité Sociale), approuvé par le Congrès américain en 1935, qui marque la mise en place de la première forme d’État-providence aux États-Unis et des premières mesures d’assistance sociale pour lutter contre la pauvreté croissante chez les personnes âgées, les chômeurs, les veuves et les orphelins. Enfin, le Fair Labor Standards Act (Loi sur les normes du travail équitable) également appelé Wages and Hours Bill (Loi sur les salaires et le temps de travail), approuvé par le Congrès en 1938, établit un salaire minimal, propose une réglementation des heures supplémentaires et interdit l’emploi des mineurs et des enfants dans des travaux pénibles.

Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate en Europe en 1939, Cohen change la tactique de la politique étrangère américaine et rompt avec l’isolationisme. Il conseille Roosevelt sur les programmes d’aide aux Alliés avant l’entrée officielle de l’Amérique dans le conflit. En 1941, Cohen devient un des principaux architectes juridiques de l’arrangement par lequel les Etats-Unis fournissent de l’armement au Royaume-Uni et à ses alliés, en échange de l’utilisation des bases militaires britanniques. Il est par ailleurs nommé avocat général de l’Office de stabilisation économique.

Mais sa contribution peut-être la plus durable reste celle en 1944, de la rédaction de l’accord de Dumbarton Oaks qui jette les fondements de la future Organisation des Nations Unies et élabore la première ébauche de la Charte de l’ONU.

A la fin de la guerre, Cohen est promu conseiller juridique de la Corporation de Financement de la Reconstruction. C’est à cette période qu’il développement le libéralisme d’après-guerre.

Après avoir formellement quitté l’administration en 1947, il continue à conseiller les dirigeants gouvernementaux depuis son domicile de Washington.

De 1948 à 1952, Cohen est à plusieurs reprises membre de la délégation américaine aux Nations Unies et membre de la Commission du désarmement de l’ONU. Il s’implique également dans la création des relations diplomatiques entre les États-Unis et Israël.

Son intérêt pour la politique continue longtemps après la fin de son service au gouvernement, en devenant assistant spécial de la campagne présidentielle de John F. Kennedy sur les questions de désarmement.

Benjamin Victor Cohen décède des suites de complications dues à une pneumonie en 1983 à Washington, à l’âgé de 88 ans.

Noémie Grynberg / Israel Magazine 2014