De Kiev à La Havane – l’odyssée du roi du cigare cubain : Zino Davidoff

Cigares

Davidoff : un nom qui fait rêver, qui évoque tout à la fois la volupté des plaisirs subtils et une marque de légende. Son fondateur, Zino Davidoff, grand seigneur cosmopolite et homme d’affaires suisse d’origine ukrainienne, est le créateur d’un des plus grands groupes de commerce du tabac. Devenu célèbre grâce à ses fameux cigares, son nom est désormais synonyme de luxe et de raffinement. Son empire s’est développé au-delà de monde du tabac. La marque a également créé une large gamme de produits dérivés, toujours dans le même souci d’élégance.

Zino Davidoff est né à Kiev en Ukraine en 1906, dans une modeste famille de commerçants juifs. Son père est buraliste, et le jeune Zino roule des cigarettes pour les clients. Alors qu’il n’a que cinq ans, lui et sa famille fuient les pogroms russes en 1911. Après trois longs mois de voyage éprouvant, la famille Davidoff s’établit à Genève où son père, spécialiste du tabac, ouvre un commerce de cigarettes. Le bureau de tabac devient vite le point de ralliement des nombreux exilés russes, alors hostiles au Tsar. Ironie de l’histoire, un de ses premiers clients ne sera autre qu’un certain Vladimir Ilitch Oulianov (Lénine).

Enfant, Zino veut étudier le violon. Mais son père s’y oppose au motif que les garçons doivent travailler.

Une fois ses études terminées, pendant que son père tient la boutique, Zino Davidoff fait de nombreux voyages en Amérique latine et centrale, notamment en Argentine, au Brésil et à Cuba entre 1924 et 1929, pour perfectionner sa connaissance du produit. Pendant cinq ans, il s’initie à l’art et à la culture du tabac, au séchage, à la fermentation, aux mélanges et à la dégustation. Il découvre les fameux cigares de La Havane. C’est donc à Cuba qu’il estime réunies les conditions propices à la création du cigare parfait. Pour cela, il crée une affaire d’export, améliore la qualité des produits, rationalise la production qui prospère.

En 1931, il rentre à Genève et s’occupe du magasin de son père. Bien qu’il reprenne l’entreprise familiale, Zino Davidoff la réoriente entièrement, abandonnant quasiment le tabac d’Orient, dont on fait des cigarettes, au profit de celui des tropiques, dont on fait les cigares qu’il est le seul à commercialiser en Suisse dès les années trente. Ainsi, il crée un département spécial au sein du commerce familial. Dès 1933, initiative sans précédent sur le continent, il aménage à Genève des caves spéciales humidifiées pour conserver les cigares — une première en Europe. Grâce à cette première et à ses compétences, Zino Davidoff acquière bien vite une réputation au-delà des frontières : d’abord en France, puis en Europe, et enfin dans le monde entier. Grâce à un coup de génie né des connaissances acquises et de ses excellents contacts avec les gouvernements successifs de Cuba, Davidoff faire venir à Genève en 1940, l’ensemble des cigares cubains stockés chez les négociants parisiens qui craignent une main basse des Allemands sur leur marchandises de valeur. Ceci fait de lui le spécialiste mondial du cigare. Genève devient ainsi pendant les années de guerre la plaque tournante du puro cubain. Cela lui permet de traverser sans dommage la Seconde Guerre mondiale. Pendant près d’un demi-siècle, la boutique devient la Mecque européenne du cigare.

Selon Davidoff, mieux vaut fumer moins mais mieux. Ainsi, il développe tout un culte et une philosophie autour de l’art du cigare. La marque devient rapidement l’emblème du luxe. En 1946, Davidoff crée la fameuse ligne des « Châteaux », en hommage aux plus prestigieux des crus bordelais. En 1968, Davidoff se voit octroyer le droit de créer sa propre marque de cigares cubains. L’année suivante, il lance les Davidoff No 1, 2 et les Ambassadrices. C’est un succès immédiat et la marque devient synonyme de plaisir et de raffinement.

En ouvrant les portes de Cuba à la maison Davidoff, Fidel Castro, lui-même fils d’un riche planteur de tabac et grand amateur de cigares, a permis à celle-ci de devenir la référence mondiale en la matière. En contrepartie, en mettant son savoir-faire et son réseau de distribution au service des tabacs cubains, Davidoff leur a donné leurs lettres de noblesse. Victimes de leurs succès, de faux cigares Davidoff sont apparus sur le marché. Mais au terme d’une longue bataille juridique, la maison mère gagne contre les faussaires.

En 1970, Davidoff s’associe à une société bâloise. Il dispose ainsi d’un réseau de vente international dans une trentaine de pays. Cette collaboration donne naissance à un des plus grands groupes mondiaux du commerce de tabac : le groupe Oettinger-Davidoff.

En 1989, la société Davidoff se voit contrainte de brûler 130.000 cigares dans l’usine d’incinération de Bâle, en raison de leur qualité insuffisante. Il en allait de la réputation de la célèbre marque.

Le fait que la ville de Genève accueille des instances internationales a fourni à Davidoff une clientèle nombreuse et exigeante pour ses cigares. Son nom a attiré quantité de chefs d’Etat, de stars, de chefs d’entreprises et de célébrités en quête de ses conseils et de ses produits d’une qualité unique. Encore aujourd’hui, grâce à Zino Davidoff, Genève reste la capitale mondiale des amateurs de cigares.

«Le plaisir d’un cigare commence avant que l’on ne le fume et flotte encore en nous après qu’il ne soit consumé» selon les propres termes de Davidoff.

Devenu ambassadeur itinérant de la marque, il reste l’ami fidèle des stars et des têtes couronnées pendant plus de 25 ans.

Depuis son départ de Cuba en 1990, suite à sa rupture avec le régime castriste et en raison d’une baisse de qualité de la matière première, le groupe se reconcentre à Saint-Domingue en République dominicaine où il possède désormais plusieurs sites de production, des plantations et des ateliers. En 1991, Davidoff lance une nouvelle ligne élaborée à partir des plus fins tabacs locaux, très appréciée des connaisseurs. C’est un nouveau succès. En 1994, le légendaire père fondateur décède à l’âge de 87 ans. Il est enseveli au cimetière juif de Genève.

Mais la marque ne perd rien de sa vitalité. Les affaires continuent de prospérer. En 1998, 22 millions de cigares roulés main ont été commercialisés sous divers labels (Davidoff, Zino, Avo, etc.) Aujourd’hui, la société Oettinger-Davidoff importe des tabacs du Honduras et du Nicaragua. Zino Davidoff peut être fier de son succès. Le groupe a atteint un chiffre d’affaires de près de deux milliards de francs suisses en 1997 pour ses trois domaines d’activité principaux : les cigares haut de gamme, la production et la vente de cigarettes sous licence (en partenariat avec un groupe allemand) et les produits dérivés griffés Davidoff (cognac, vêtements, maroquinerie, parfums et cosmétiques, lunetterie et stylos). Oettinger-Davidoff possède aujourd’hui quelque 40 commerces spécialisés et fournit 450 dépositaires dans le monde entier.

Son sens des affaires, Zino Davidoff le tient peut-être de sa ville natale, qui fut au Moyen Age un centre du commerce entre Constantinople et la Scandinavie. Son parcours s’est construit sur une série d’opportunités habilement saisies, sur un instinct sûr et une grande connaissance de son domaine. Cette success story fait aujourd’hui de la marque qui porte son nom la seule marque de luxe 100% suisse en dehors de l’horlogerie.

Zino Davidoff, l’enfant réfugié ukrainien, est devenu un nom. Edoniste, épicurien, il a mis son sens de la création au service du plaisir de l’éphémère, du raffinement et de l’élégance.

Noémie Grynberg / Israel Magazine 2007