Jakob Rosenfeld, le médecin juif viennois devenu héros militaire de la révolution communiste chinoise

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Jakob Rosenfeld fut un médecin viennois persécuté sous l’Allemagne nazie et qui trouva refuge à Shanghai. Après des années d’oubli, le "Général Luo" retrouve, ces dernières années en Chine, sa place de héros pour avoir sauvé des milliers de vie sous le régime de Mao. Voici l’épopée hors du commun de Jakob Rosenfeld, le médecin juif viennois qui devint général du Grand Timonier.


Jakob Rosenfeld est né en 1902 à Lemberg (l’actuelle Lviv en Ukraine). Il est le fils d’un sous-officier de l’armée austro-hongroise. Ses parents lui inculquent l’amour de la culture allemande, notamment de la musique et de la littérature ainsi qu’une sensibilité à la souffrance des faibles et des opprimés. C’est donc naturellement qu’il se destine à la médecine.

Jakob Rosenfeld obtient son doctorat en médecine générale à l’université de Vienne, puis se spécialise en urologie et gynécologie. Très vite, il se fait une clientèle de choix parmi les personnalités et les hommes d’affaires viennois.

Il joint le parti démocratique social autrichien et est arrêté plusieurs fois pour son implication dans des activités anti-impérialistes.

Jakob Rosenfeld voit son destin basculer en 1938, lors de l’Anschluss : le rattachement de l’Autriche à l’Allemagne nazie.

Interné à Dachau, puis à Buchenwald, il est libéré en 1939 à la condition de quitter le Reich dans les deux semaines. A l’époque, la seule possibilité est de s’embarquer pour Shanghai où aucun visa n’est nécessaire pour rejoindre la concession internationale. Jacob Rosenfeld, s’y réfugie donc en 1939. Il y ouvre rapidement un cabinet médical.

Entre 1933 et 1941, surnommée la "Petite Vienne", Shanghai abrite quelque 25.000 à 30.000 réfugiés juifs européens, fuyant les persécutions nazies, soit plus que le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Afrique du Sud et l’Inde réunis. Les Juifs y sont entièrement libres jusqu’à la création du ghetto par les Japonais en 1942. En 1943, les Japonais envahissent Shanghai après un carnage. Le colonel Joseph Meisinger (connu sous le nom du « boucher de Varsovie ») arrive en Chine. Son plan de « solution finale à Shanghai » ne sera heureusement pas appliqué par les Japonais.

En 1941, sa rencontre avec un agent de propagande du Komintern (Internationale Communiste) et suite aux brimades infligées aux Chinois par l’armée d’occupation japonaise décident Jacob Rosenfeld de rejoindre la "Nouvelle 4e Armée" de Mao. Deux ans après son arrivée en Chine, il se rend dans la province du Shandong, à l’est du pays, en se faisant passer pour un missionnaire allemand auprès des Japonais.

Un héros réhabilité

Rosenfeld nourrissait des sympathies socialistes mais à priori, rien ne prédestinait ce jeune et renommé gynécologue viennois à devenir le "Bouddha salvateur" de la jeune Armée rouge chinoise. Ainsi, Rosenfeld – dit "Général Luo"- fut le seul parmi la poignée de volontaires étrangers ayant rejoint les troupes révolutionnaires à y avoir occupé les plus hautes fonctions hiérarchiques. Il fut même nommé ministre de la Santé du gouvernement des troupes combattantes, en 1947.

La suite appartient à la légende : devenu médecin sur le front, Rosenfeld en bon humaniste, opère sans relâche à la lumière de lampes de poches, améliore les conditions d’hygiène et forme des dizaines de praticiens chinois à la médecine moderne. Il aurait sauvé la vie de près de 100.000 soldats et civils chinois. Ainsi, Rosenfeld devient un grand héros, vénéré par l’armée et la population. Elevé au grade de général et appelé auprès du Comité central, Rosenfeld se lie notamment avec Liu Shaogi et Chen Yi, respectivement futur président chinois et ministre des Affaires étrangères ; mais il n’a jamais été proche de Mao lui-même.

Resté en Chine bien après la fin du nazisme, le "Général Luo" participe à la chute de Pékin en 1949 et après la fondation de la République Populaire de Chine, se décider à rentrer à Vienne cette même année. Il retrouve une ville dévastée, encore marquée par l’antisémitisme, où il n’arrive plus du tout à se réinsérer alors que sa famille a été exterminée. Rosenfeld tente en 1950 de retourner en Chine mais, avec l’installation du nouveau pouvoir et le début de la guerre de Corée, les étrangers n’y sont plus forcément les bienvenus. Il pense alors aux Etats-Unis. Mais le consulat lui refuse l’octroi d’un visa pour cause de service actif dans l’armée communiste chinoise.

Faute de visa, il se résout à émigrer en Israël. Bien qu’étranger au pays et à la langue, Rosenfeld est captivé par l’esprit pionnier du nouvel Etat. Il travaille alors à l’hôpital Assuta de Tel-Aviv. Mais sa santé se détériore. Il refait une demande d’immigration pour les Etats-Unis car il est persuadé que la chirurgie américaine peut le sauver. Mais les autorités d’immigration américaines lui refusent à nouveau un visa. Un Juif ayant combattu pour les communistes est déclaré persona non grata par le gouvernement McCarthy qui fait la chasse aux sorcières à cette époque.

Victime d’une déficience cardiaque, il meurt en 1952 d’un infarctus du myocarde, dans la solitude. En Chine, personne ne connaissait son épopée ni ne savait où il avait été enterré. Après l’établissement des relations diplomatiques entre la Chine et Israël en 1992, l’Association d’amitié entre les deux pays a trouvé la tombe de Jacob Rosenfeld au cimetière de Kiriat Shaoul à Tel-Aviv et l’a restauré.

Tombé dans l’oubli lors de la Révolution culturelle dirigée par Mao en 1966, Rosenfeld n’est progressivement réhabilité qu’à la mort du Grand Timonier, avant de retrouver sa stature de héros ces dernières années. En 2003, pour le centenaire de sa naissance, la poste chinoise a émis une série spéciale de timbres en souvenir de Jakob Rosenfeld, l’ami juif de la Chine.

Aujourd’hui, il a sa statue, son hôpital, et le Musée historique de Pékin lui a consacré une exposition inaugurée par le président Hu Jintao.

Fin 2006, dans le cadre de l’année de la Chine en Autriche, une exposition au Musée juif de Vienne a également rendu hommage au singulier destin de Jakob Rosenfeld, ce médecin viennois devenu héros de la révolution chinoise après avoir fui les nazis.


Israel Magazine / Noémie Grynberg 2007