La fulgurante saga familiale des frères Levy, inventeurs de l’édition moderne

Calmann Levy

Calmann-Lévy est une des maisons d’édition généralistes françaises les plus anciennes. Installée aujourd’hui dans le 9e arrondissement de Paris, elle appartient à la société Hachette, premier groupe de publication hexagonal.

Michel et Kalmus Levy sont les fils d’un colporteur juif alsacien, Simon Lévy, venu s’installer à Paris en 1825. Ils sont les plus jeunes d’une fratrie de cinq enfants. Jusqu’en 1833, les deux garçons étudient dans une école primaire du Consistoire israélite de la Seine. A l’âge de 11 et 14 ans, Michel et Kalmus pratiquent le commerce ambulant.

Cependant, le niveau culturel de la famille est très en avance sur leurs contemporains. Dès 1836, le commerce paternel se diversifie. Simon ouvre un cabinet de lecture et fonde avec ses fils, Kalmus, Nathan et Michel, une maison d’édition spécialisée dans le théâtre contemporain. Au départ, il s’agit d’une petite librairie rue Marie Stuart, dans le 2e arrondissement de Paris. C’est Michel, le plus jeune fils, qui sera l’âme de cette première librairie. Passionné de théâtre, doué et travailleur, l’adolescent abandonne le Conservatoire pour se lancer dans l’édition. Il n’a pas 20 ans quand il publie un premier livre, Giselle ou les Wilis, ballet fantastique en deux actes dont l’un des auteurs se nomme Théophile Gautier. Michel s’impose rapidement comme un éditeur hors-pair. Il publie les auteurs les plus prestigieux du siècle : Dumas, Baudelaire, Hugo, Balzac, Lamartine et, dans un autre domaine, Thiers, Louis-Philippe…

Dès 1840, les frères Levy maîtrisent les cycles courts de production et de rentabilisation des investissements grâce à une rotation du capital. Ils modernisent les techniques de vente. En 1841, la librairie Michel Frères est fondée. De 1846 à 1851, années de crise dans l’édition, les frères Levy consolident pourtant leur entreprise. En 1851, la maison devient le premier éditeur en France pour le théâtre. Elle devient la première en Europe toutes productions confondues à la fin du Second Empire. Profitant de la rapide croissance capitaliste de l’époque mettant fin à la cherté des livres, les deux frères se lancent dans l’édition de littérature générale. Leur stratégie commerciale se caractérise par la conclusion d’associations ponctuelles avec d’autres éditeurs, par l’absorption de maisons rivales et par le lancement de collections à bas prix et de petit format. En 1856, Michel lance sa célèbre collection de volumes de 300 à 400 pages au prix unique de 1 franc, soit quatre fois moins cher que les tarifs habituels, ce qui révolutionne le monde de l’édition. C’est un triomphe populaire. Son succès lui permet de compter rapidement dans son catalogue tous les grands noms du siècle (Stendhal, George Sand, Nerval, Gautier, Tocqueville, Sainte-Beuve…). Michel Lévy invente l’édition moderne avec des contrats d’exclusivité. Tous les écrivains veulent être de l’aventure. L’éditeur publie des romans, de la poésie, des ouvrages historiques et critiques.

L’édition ouvre la voie vers la grande bourgeoisie aux deux frères. A la fin des années 1860, Michel et Kalmus déjà riches, font construire un hôtel particulier dans le quartier à la mode du nouveau Paris haussmannien, à deux pas de l’Opéra, des cafés et des théâtres. Très vite, le 3 rue Auber devient l’épicentre de la vie culturelle et le symbole d’une réussite.

En 1861, Michel Levy rachète la Librairie Nouvelle, boulevard des Italiens. Il continue de publier de nombreux auteurs, dont Renan, Vigny et Michelet.

En 35 ans d’activité, la société amasse plus de 10 millions de francs-or.

Malgré la mort de Michel en 1875, le succès continue sous la houlette de son frère. En reprenant le flambeau de l’entreprise, Kalmus qui poursuit l’œuvre familiale, francise son prénom en Calmann Lévy qui devient le nom de la société. En 1893, ses fils, Georges, Paul et Gaston, lui succèdent. Ce dernier découvre Anatole France et Pierre Loti, édite Proust ainsi que de nombreux auteurs à succès de l’époque et ouvre son catalogue aux auteurs étrangers (Gorki, Pirandello, D. H. Laurence). En 1940, Gaston est interné et ses fils rejoignent Londres. La société est administrée par les Allemands qui la rebaptisent Éditions Balzac. À la Libération, tout est à recommencer. Cependant la maison tire profit de la richesse de son fonds et conquiert rapidement de nouveaux auteurs, dont Raymond Aron, qui joue pendant quelque temps, en tant que conseiller, un rôle fondamental dans sa renommée. En littérature, l’enseigne accueille le prix Nobel de Littérature Claude Simon, Hermann Hesse, Elia Kazan ou encore Patricia Highsmith. Elle aborde de nouveaux domaines : science-fiction, humour, cinéma… En 1985, la maison souhaite moderniser la distribution et la diffusion et donner un nouveau souffle de créativité à certains secteurs éditoriaux. En septembre 1993, Calmann-Lévy est racheté par le groupe Matra-Hachette et depuis mai 1994, la diffusion est assurée par Hachette-Livre. En 2002, Calmann-Lévy éditions quitte son siège historique pour s’installer rue de Fleurus.

De nos jours, Calmann-Lévy éditions publie de la littérature française et étrangère de qualité mais aussi des essais et des documents sur le monde contemporain, en particulier dans les collections « Liberté de l’esprit » et « Diaspora », sur la psychanalyse, le cinéma, le sport, l’enfance… L’éditeur s’est notamment fait connaître, ces dernières décennies, en publiant des ouvrages très critiques envers le communisme ou prônant le libéralisme économique. Aujourd’hui, parmi les auteurs contemporains majeurs publiés par Calmann-Lévy, on compte : Arthur Koestler, Patricia Cornwell, Gérard Mordillat, Amos Oz, Donna Leon, Andrea H. Japp, etc.

Par ailleurs, une collection Fantasy publie des bandes dessinées et des romans de science-fiction.

Les petits colporteurs juifs alsaciens venus conquérir Paris ont fini par fonder un des fleurons de l’édition française !


Noémie Grynberg / Israel Magazine 2010