Paul Felix Lazarsfeld : un novateur dans l’étude des médias et de l’opinion publique

Paul Felix Lazarsfeld, psychologue, sociologue et mathématicien américain d’origine autrichienne a grandement contribué à la méthodologie de l’étude critique du comportement électoral et au développement de sa sociologie. Lazarsfeld est plus particulièrement reconnu pour l’importance de ses travaux sur les effets des médias sur la société et pour l’utilisation de techniques d’enquêtes pour la collecte d’information.

Paul Felix Lazarsfeld est né à Vienne en Autriche, en 1901, dans une famille d’intellectuels juifs. Il fait ses études à l’université de Vienne parallèlement en droit, en économie et en mathématiques. Il y étudie également la psychologie. Il obtient son doctorat en mathématiques appliquées en 1924. En tant qu’étudiant déjà, Lazarsfeld milite pour le socialisme. Il espère clairement mettre ses connaissances mathématiques au profit du combat social. En 1929, Lazarsfeld crée à Vienne un institut de psychologie sociale appliquée. Lorsqu’il devient membre de la célèbre École de Frankfort en Allemagne (voir Israël Magazine no 68), il a pour projet une théorie critique qui allie philosophie et sociologie et qui s’inscrit dans une perspective marxiste. En 1932, Lazarsfeld publie une grande enquête sur les chômeurs de Marienthal  (ville près de Vienne) : comment les ouvriers réagissent face à la crise et au chômage). Cette recherche lui vaudra l’année suivant une bourse de la fondation américaine Rockefeller pour aller étudier aux Etats-Unis.

En 1933, comme plusieurs des membres juifs de l’école de Frankfort, pour éviter la répression nazie, Lazarsfeld émigre aux Etats-Unis. Arrivé sur le Nouveau Continent, l’ancien activiste de gauche stoppe ses activités militantes car il ne voit pas d’échos possibles pour le marxisme aux Etats-Unis à cette époque. Il se déclare lui-même être « un marxiste en congé ». Sa connaissance des questions socio-économiques et sa compétence méthodologique lui permettent de superviser une vaste étude sur les jeunes chômeurs américains. Sa publication "The Art of Asking Why?" en 1935, devient son oeuvre pionnière. Il est nommé directeur du Centre de Recherche à l’Université de Newark en 1936, et assume le poste de directeur du nouveau Centre de la recherche sur la radio à l’université de Princeton l’année suivante.

C’est en 1940 que Lazarsfeld mène, avec quelques autres chercheurs, la première étude sur la communication politique de masse à l’université Columbia. Dès lors, il s’affirme en tant que spécialiste des communications de masse (mass media). Ses travaux portent sur l’influence qu’exercent les médias sur la décision des électeurs, ce qui lui permet de développer sa célèbre «Two-step flow Theory» : modèle théorique de communication en deux étape. En 1944, il publie The People’s Choice. D’après lui, l’effet des mass medias doit être relativisé car seuls 5% des électeurs seraient influencés par eux, un nombre bien moins important que ceux qui se laissent influencer par les amis, collègues, frères, soeurs, etc. Il fait pour la première fois apparaître la notion de « leader d’opinion » dans ses travaux de recherche quantitative sur l’opinion publique. Ses analyses montrent l’existence d’une régularité du comportement. Dans le domaine de la recherche en communications, Lazarsfeld développe la technique du "panel" ; celle-ci implique de répéter une interview sur le même thème avec le même échantillon de personnes. Cherchant à comprendre les actions et les décisions des agents sociaux, Lazarsfeld prône une démarche qui allie la recherche qualitative (récits biographiques) et les méthodes statistiques. Il s’intéresse aussi à l’impact de la radio sur son auditoire. Il est à la fois un observateur rigoureux de l’influence croissante des médias sur notre existence et un critique averti de leurs abus.

Après 1945, Lazarsfeld devient professeur de sociologie et président du département de Recherche en sociologie Appliquée à l’université Columbia où il demeure jusqu’en 1970. En tant que directeur du Bureau de Sociologie de Columbia, Lazarsfeld est un pionnier dans l’aventure qui deviendra un modèle pour de nombreux instituts de recherche similaires au sein des universités américaines. Il devient également président de l’Association Américaine de Sociologie.

Lazarsfeld publie de nombreux ouvrages parmi lesquels Radio Listening In America (1948), Continuities in Social Research (1950), Voting (1954), The Language of Social Research (1955), The Academic Mind (1958), Philosophie Des Sciences Sociales (1959). En 1968, Lazarsfeld écrit une autobiographie dans laquelle il relate son rôle dans la création des instituts de recherche sociale. En 1970, à la demande de l’UNESCO, il rédige le chapitre consacré à la sociologie dans l’ouvrage encyclopédique ‘’Tendances principales de la recherche dans les sciences sociales et humaines’’.

L’utilité pratique immédiate de la sociologie empirique de Lazarsfeld lui offre de nombreux débouchés dans les administrations, les entreprises, et même à l’O.S.S. (Operation Strategic Studies), ancienne C.I.A. Lazarsfeld abandonne alors le cadre de la théorie critique (sa formation initiale à l’Ecole de Frankfort), et s’en tient à la stricte collecte des données empiriques. Il se contente alors de décrire le social sans trace de préjugés subjectifs ni spéculation théorique.

Paul Félix Lazarsfeld meurt à New York en 1976.

Ainsi, Lazarsfeld a développé en Autriche mais surtout aux États-Unis, l’usage des enquêtes principalement quantitatives et des modèles mathématiques sur l’étude des comportements de choix : d’une profession, d’un bien de consommation, d’un programme de radio ou d’un candidat à une élection politique.

Il a apporté une contribution non négligeable à la recherche sur le chômage, l’opinion publique et la recherche marketing, les médias et les communications de masse, la sociologie politique, la sociologie de la sociologie, l’histoire de la recherche sociale empirique et la sociologie appliquée.

Noémie Grynberg / Israel Magazine 2007