Samuel Heyman de Ricqlès, l’inventeur du « glouglou qui fait glagla »

Grand classique de la pharmacie familiale, le Ricqlès est un remède séculaire utilisé depuis le XIXe siècle pour rafraichir, soigner ou calmer toutes sortes de maux. Ce fameux alcool de menthe a vu le jour à Lyon, il y a presque deux cents ans, grâce à un commerçant juif hollandais émigré en France.

L’alcool de menthe Ricqlès est depuis longtemps une boisson infaillible contre les indigestions, les maux d’estomac et de tête, la dysenterie, les défaillances, les malaises et les refroidissements. Il sert également pour la toilette et les dents, ou encore pour calmer les nerfs. Dès son succès, le remède est vendu en flacons et demi-flacons chez les pharmaciens, herboristes, épiciers et parfumeurs. Mais comment est né cet alcool miracle décliné aujourd’hui dans une large gamme de produits ?

En 1788 en Hollande, Samuel Heyman voit le jour dans une famille juive d’Amsterdam. Devenu négociant dans le commerce de la soie, il émigre des Pays-Bas pour s’installer à Lyon en 1824. Samuel Heyman qui ne s’appelle pas encore « de Ricqlès », s’associe avec son frère pour créer la société « Heymans frères ». Profitant des nouvelles lois concernant le statut des Juifs, le commerçant dépose une demande de naturalisation. Il l’obtient en 1833 et jouit ainsi des droits civils français. A sa suite, l’état civil, sans que l’on sache bien pourquoi, lui ajoute le nom de Ricqlès à celui de Heyman. Devenu notable, ce dernier participe activement à la vie communautaire juive de Lyon. En 1838, le consistoire le nomme à la tête de la congrégation. De tendance libérale, Samuel Heyman de Ricqlès veut moderniser le culte et assouplir la Loi halachique. Mais ses réformes divisent la communauté. En 1842, il démissionne de son poste de Président pour cause de différents envenimés avec le rabbin.

Découverte de la panacée universelle
En s’intéressant au mûrier blanc, indispensable à l’élevage du ver à soie, Samuel Heyman s’engoue pour la botanique. Désirant satisfaire sa curiosité, il se lance dans une recherche approfondie. Très vite, il jette son dévolu sur la menthe poivrée dont il pressent les immenses perspectives thérapeutiques. En 1838, en isolant les principes actifs de la plante, il la distille et obtient une huile jaune or, d’une saveur forte et agréable. Heyman a l’idée de faire subir à cet extrait non consommable en l’état, d’autres manipulations pour en retirer la quintessence. Au troisième essai, l’apprenti botaniste rajoute à son concentré de l’alcool chauffé à haute température qui rend enfin la lamiacée assimilable. Ainsi, après plusieurs tentatives, Samuel Heyman parvient à fabriquer son fameux alcool mentholé. De Ricqlès mesure d’abord les vertus de son principe auprès de ses proches. Satisfait, il le commercialise en petites bouteilles. La soierie est vite abandonnée au profit de cette nouvelle invention.
En 1840, Lyon est touchée par les terribles inondations du Rhône. En tant que Président communautaire, Samuel Heyman signe un appel à souscription en faveur des Juifs sinistrés de la ville. C’est à cette époque que l’alcool de menthe connaît son premier grand succès en contribuant activement à lutter contre les épidémies de diarrhée et de choléra engendrées par la catastrophe. L’élixir passe alors pour une véritable panacée universelle. Le Ricqlès devient rapidement l’un des produits hygiéniques les plus en vue. Sur un morceau de sucre ou dans un verre d’eau, on l’utilise comme fortifiant lors des fatigues passagères, des maux de cœur, de tête ou d’estomac.

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En 1842, Heyman de Ricqlès reçoit la Médaille d’Honneur du Roi Louis-Philippe pour sa conduite exemplaire lors des inondations de Lyon deux ans auparavant.
Suite au dépôt de brevet en 1849 et à la commercialisation du nouveau produit, le laboratoire d’origine, devenu trop exigu, est transféré.
Le 14 décembre 1853, Samuel Heyman de Ricqlès meurt à son domicile, à l’âge de soixante cinq ans.

Un succès non démenti
Comme dans toutes les grandes sagas, l’histoire de l’entreprise ne s’arrête pas à la mort de son fondateur. Trois des fils reprennent le flambeau de la Société Ricqlès et poursuivent l’œuvre de leur père. En octobre 1857, Edouard dépose le titre, le flacon et la marque de l’Alcool de Menthe de Ricqlès au Greffe du Tribunal de Commerce de Lyon. En 1869, les frères fondent la Ricqlès & Cie qui leur permet l’exploitation commerciale et industrielle du philtre. Le succès dépassant le cadre régional, les trois héritiers créent une succursale de la firme à Paris.
La réputation de l’alcool de menthe continue de croitre. Plusieurs récompenses priment son excellence. Ainsi la boisson rafle la Médaille d’Argent et de Bronze à l’Exposition de Lyon de 1872, le Diplôme du Mérite à l’Exposition de Vienne de 1873, la Médaille d’Honneur de l’Académie Nationale de Paris en 1874 ainsi que trois médailles à l’Exposition universelle de 1878. Enfin, en 1894, l’Alcool Ricqlès obtient le Grand Prix à l’Exposition Universelle de Lyon et une Médaille d’Or à l’Exposition Universelle d’Anvers.
En 1898, les frères décident de déménager la fabrique à Saint-Ouen, dans la banlieue parisienne.
Pendant la guerre de 1914-1918, les poilus contribuent malgré eux à la notoriété du Ricqlès : en plus de toutes ses vertus thérapeutiques, il leur permet de purifier l’eau et de camoufler l’odeur des cadavres.

Fin d’une entreprise familiale
Entre les deux guerres, la société Ricqlès s’installe à Melun. Sous le gouvernement Vichy, elle est spoliée d’une grande partie de ses biens par les autorités allemandes. Heureusement, à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, les affaires reprennent grâce à des brevets améliorés. Puis la société fusionne avec l’entreprise des réglisses Zan avant d’être rachetée en 1987 par le groupe des bonbons Haribo. La mise en Bourse de l’affaire la fait définitivement échapper des mains de la famille Ricqlès tandis que la marque demeure. Aujourd’hui, elle appartient aux laboratoires Vie & Santé et continue d’être distribuée en pharmacie.
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