Histoire du train : entre espoir et déboire

Train

En Israël, la compagnie ferroviaire nationale, entièrement détenue par le gouvernement, gère les liaisons interurbaines et suburbaines des passagers aussi bien que du fret. Le réseau est principalement concentré dans la plaine côtière autour de Tel Aviv, région la plus densément peuplée d’Israël et regroupant la majeure partie de l’activité économique du pays.

Les origines

En 1839, le philanthrope juif Moses Montefiore est le premier à avoir l’idée de développer le train en Palestine. Mais il faut attendre un demi-siècle pour que son projet se réalise. En 1890, les premiers rails reliant Jaffa à Jérusalem sont posés. En tout, une voie ferrée de 82 km de long qui marque le début de l’épopée ferroviaire en Palestine ottomane. Au bout de deux ans de travaux, le train entre enfin pour la première fois dans Jérusalem. Traversant l’intérieur des terres depuis la côte méditerranéenne en passant par les monts de Judée, cette nouvelle ligne réduit considérablement la durée du trajet habituel, passant alors de trois jours à trois heures 50’. Cet événement se révèle d’une grande importance pour les résidents juifs du pays.

En 1904, une nouvelle ligne relie Haïfa à Beit Shéan. En 1914, un projet ambitieux raccorde le chemin de fer du Hedjaz de Damas à Médine en Arabie Saoudite, avec des lignes secondaires partant de Haïfa et d’Acre via la vallée de Jezréel, jusqu’à Beersheba dans le sud. En 1915, les autorités militaires turques inaugurent la voie de chemin de fer reliant Afula au désert du Sinaï, transitant par Tulkarm.

Après la première Guerre Mondiale, l’Empire ottoman est démantelé et la Palestine passe sous mandat britannique. Les nouvelles autorités construisent une ligne côtière connectant Tel Aviv – Jaffa à Haïfa via Lod , se prolongeant au nord jusqu’à Beyrouth et au sud, jusqu’au canal de Suez en Egypte. Une liaison Haïfa – Le Caire est mise en service quotidiennement. La voie ferrée Rosh Haain – Petach Tikva est construite. Cependant, alors que les chemins de fer répondent aux besoins des autorités britanniques, la population juive croissante dans les nouvelles villes et localités, est laissée pour compte.

En pleine Seconde Guerre Mondiale, les Britanniques, pour des raisons stratégiques, ouvrent un nouvel axe ferroviaire : Haïfa – Beyrouth – Tripoli.

Développement ferroviaire

Après l’Indépendance, l’administration du rail passe sous autorité israélienne. Dès 1950, une ligne régulière dessert Haïfa, Tel Aviv et Jérusalem en 4 heures. En 1954, la gare centrale de Tel Aviv et la nouvelle ligne côtière sont inaugurées. De 1948 au milieu des années 1960, le trafic passagers augmente rapidement pour atteindre environ 4,5 millions de voyageurs par an.

De 1960 à 1980, de nouveaux segments ferroviaires sont construits : Beersheba – Dimona en 1965, Dimona – Oron en 1970 puis Tsefa dans la plaine de Rotem l’année suivante, Haïfa – Bat-Galim en 1975. Entre temps, la victoire israélienne de la guerre des Six Jours permet de reconnecter la liaison entre l’est de Qunaytra et les bords du canal de Suez. En 1977, la ligne ferroviaire du Néguev atteint Nahal Zinn. En 1982, la voie Kiryat Gat – Ashkelon permet de réduire la distance de transport du minerai en provenance du Néguev vers le port d’Ashdod.

A partir de 1988, le besoin de développer le chemin de fer devient plus pressant. En 1991, la ligne Tel-Aviv – Rehovot est ouverte. En 1992, le nouveau train IC3 rentre en service. Un an plus tard, les voies d’Ayalon sont connectées. La banlieue de Tel Aviv est reliée à Netanya au nord. A partir de 1995, le nombre des voyageurs fait plus que doubler.

En 1996, la station “Tel Aviv Hashalom” est inaugurée. La ligne Haïfa – Krayot est mise en service la même année. En 1998, 21 nouvelles locomotives diesel arrivent d’Espagne en Israël. En 1999, la station Hof Hacarmel à Haïfa est achevée. En 2000, la ligne Rosh Haain – Tel Aviv est ouverte, en passant par Bne Brak et Petach Tikva Segula. Puis la gare centrale de Beersheba et la station de l’Université de Tel Aviv sont construites.

En 2003, la Société des Chemins de Fer Israéliens, entièrement gouvernementale, est créée. Avec l’ouverture du nouvel aéroport Ben Gourion, des lignes le desservant sont mises en service et celle de Rishonim est ouverte. En 2004, la liaison marchandises Beersheba – Ramat Hovav fonctionne et celle entre Pleshet et Ashdod est doublée. En 2005, la gare d’Ashkelon est achevée ainsi que celle de Malkha à Jérusalem, sur la ligne reliant la capitale à Tel Aviv. Parallèlement, les réseaux Ashdod – Ashkelon et Beersheba – Dimona sont doublés. Ce dernier devient également une ligne passagers alors que depuis 1980, il ne sert qu’au fret. En 2006, le 3e segment de Ayalon est posé à Tel Aviv jusqu’à la station Hahagana. En 2007, la gare de Paatei Modiin est inaugurée et la liaison Tel Aviv – Ben Gurion – Modiin est mise en service. Enfin en 2008, suit une série de gares neuves : la gare centrale de Modiin, celle de Petakh Tikva – Kiryat Arie et celle de Lod – Ganei Aviv.

Aujourd’hui, 8 lignes ferroviaires passagers desservent le pays du nord au sud : Nahariya – Beersheba, Nahariya – Modiin, Tel Aviv – Beersheba, Haïfa – Kiryat Moskin, Binyamina – Ashkelon, Kfar Sava – Rishon-Le-Tsion, Beersheba – Dimona et Tel Aviv – Jérusalem. Seul Tel Aviv possède le nœud ferroviaire regroupant tout le réseau.

Prise de conscience tardive

Le discours politique de croissance économique, de désenclavement des zones périphériques et d’agencement urbanistique tourne souvent, en Israël, autour de la question du train. Et ce, depuis de nombreuses années.

C’est en fait l’écologie (problèmes d’environnement, pollution) qui réactive l’intérêt politique pour le train dans les années 1990. Des crédits publics sont octroyés pour la première fois en 1999. La même année et la suivante, l’utilisation des chemins de fer augmente de 40%, atteignant neuf millions de passagers. A partir de 2000, de nouvelles lignes sont modernisées, d’autres gares sur les lignes existantes sont construites, le matériel roulant est amélioré. Des campagnes publicitaires tentent d’attirer un public peu enclin à renoncer à sa voiture privée ou habitué à voyager en autobus. Les lourds investissements dans les infrastructures ferroviaires rendent le voyage plus attrayant, surtout compte tenu de la constante augmentation de la congestion routière. En dix ans, le trafic ferroviaire quintuple, une tendance qui se poursuit jusqu’à nos jours.

Périphéries : essor économique ou échec stratégique ?

Malgré ces efforts, les résultats sur la périphérie ne se révèlent pas probants. Selon le Professeur Eran Feitleson, docteur en géographie environnementale à l’Université Hébraïque de Jérusalem, l’expérience internationale prouve que le développement isolé du train ne peut constituer une réponse au problème des périphéries. A lui seul, le chemin de fer ne suffit pas à entraîner une impulsion économique locale. Une croissance régionale efficace doit s’appuyer sur l’essor global de tous les modes de trafic et d’accès en même temps. De plus, rapprocher la périphérie du centre économique ne bénéficie réellement qu’aux salaires les plus élevés. Ensuite, cette liaison ne lève pas automatiquement les barrières sociales et culturelles. Enfin, ces connexions n’améliorent pas véritablement la qualité de vie de la périphérie. Concrètement, le développement ferroviaire doit non seulement prendre en compte les infrastructures économiques et sociales existantes mais aussi les besoins réels et utilitaires des habitants de la région.

Des défaillances endémiques

On est en droit de se demander pourquoi ce moyen de transport est à ce point sous-exploité en Israël.

En fait, à partir de mi-1960, le trafic ferroviaire commence à ralentir en raison des améliorations de l’infrastructure routière, de l’augmentation du parc automobile, du manque d’investissements dans le réseau ferré et du développement des autobus publiques au détriment du train. Cette tendance culmine en 1990 avec une diminution d’environ 75% de la fréquentation par rapport à l’âge d’or des années 1960.

Ensuite, la mauvaise gestion du réseau débouche sur la fermeture de certaines lignes comme Beersheba – Dimona en 1979, faute de passagers suffisants. En raison de son mauvais état, l’ axe ferroviaire vital Tel Aviv – Jérusalem est suspendu en 1998 pour rénovation et ce pendant 5 ans.

Autre problème de taille : la majorité des gares se trouvent en dehors des villes. Les passagers sont donc pénalisés car les horaires des bus ne sont pas coordonnés avec ceux des trains, ce qui complique les correspondances et donc allonge inutilement le temps nécessaire aux transports.

Ce manque de coordination est dû à l’absence de politique commune des transports publics. Pour l’instant, aucune autorité supérieure publique n’englobe la totalité du problème des transports. Chaque opérateur travaille indépendamment. Pratiquement, il n’existe pas par exemple de passe permettant d’utiliser indifféremment les divers modes de transport.

Cependant, le gouvernement n’est pas le seul en cause. Certains propriétaires terriens le sont également : ils soutiennent le développement du train mais refusent de vendre leur sol, ce qui bloque les négociations au sujet du tracé de lignes additionnelles.

Comme défaillance supplémentaire, il faut également mentionner le nombre de wagons de transport insuffisant par rapport au flux actuel de passagers, causant ainsi des retards incessants sur les horaires prévus et des encombrements, notamment les dimanches matins.

De la désaffection à la rénovation

Certaines des anciennes gares désaffectées ont trouvé une nouvelle vie. L’antique dépôt historique de Haïfa Est a été transformé en Musée National du Chemin de Fer consacré aux étapes marquantes du développement du train en Palestine depuis 1892. Le musée se divise en 2 parties. La première retrace l’histoire ferroviaire à travers timbres, cartes, horaires, pièces, tickets, photos et information générale. La seconde est dédiée aux machines elles-mêmes : locomotives et wagons de différents modèles et époques allant de 1893 à 1922. Parallèlement, elle explique également toutes les fonctions du système ferroviaire actuel.

Quant à l’ancienne gare de Jaffa, elle a aussi été transformée en musée : celui de l’Armée.

Par contre la vieille gare historique de Jérusalem est restée abandonnée depuis le début des années 1990. Ses dépendances ont été converties en restaurants, cafés, bars qui deviennent des hauts lieux de la vie nocturne hiérosolomytaine.


Noémie Grynberg 2010