L’enclave juive du camp de transit du Grand Arénas à Marseille

En France, après la Seconde Guerre Mondiale, suite aux appels de l’Agence Juive et du département de l’Alyat Hanoar, les candidats à l’immigration pour Israël se retrouvent concentrés dans un camp de transit à Marseille, le ‘’Grand Arénas’’. Parmi eux, beaucoup de rescapés de la Shoah rapatriés en France, des jeunes d’Afrique du Nord et de France. Jusqu’au milieu des années soixante, ce camp de transit jouera le rôle de sas entre l’Afrique du Nord et Israel, pour les Juifs désirant y immigrer. 

Par définition, ‘’un camp est un regroupement imposé et arbitraire de civils en dehors du système pénitentiaire pour une durée indéterminée, visant à les enfermer’’[1]

En France, la généralisation des camps (d’internement ou de réfugiés) se fait durant l’entre-deux-guerres sous le régime de la IIIe République. Au départ, ils sont réservés à des populations de toutes nationalités perçues comme une menace pour la communauté nationale et de ce fait, ne devant pas se disperser dans le territoire. Très largement développé par les différents gouvernements de l’époque, aussi bien de droite que de gauche, ce réseau de camps va servir, principalement aux réfugiés espagnols fuyant le régime franquiste venus en masse en France à la fin la Guerre Civile. Puis ils reçurent les Juifs d’Europe en but à l’antisémitisme cherchant une terre d’accueil en France. Devant l’afflux de ces réfugiés, ce réseau va se développer et servira bien à propos la politique d’exclusion du régime de Vichy ….

Après la guerre, ces camps n’ont pas disparu. Ils semblent être devenus une solution au traitement des situations d’urgence. Dès l’été 1945, les pouvoirs publics utilisent les camps de transit pour régir les flux migratoires d’après-guerre mais aussi pour y interner les opposants politiques qui commencent à s’agiter dans l’Empire français durant les guerres coloniales d’Extrême-Orient et d’Afrique. C’est ainsi que le ‘’Grand Arénas’’ de Marseille a accueilli jusqu’en 1948, les travailleurs vietnamiens indépendantistes autogérés par des cadres proches du PC indochinois, placés sous haute surveillance durant le conflit indochinois. Puis, une fois le conflit vietnamien réglé, ont succédés les Algériens suspectés d’être membres du FLN, militants politiques en lutte ouverte contre l’administration française. C’est ainsi que dans le cadre de la politique de lutte contre la rébellion algérienne en métropole (1957), l’internement administratif collectif est largement appliqué pendant toute la durée de la guerre d’Algérie.

Les conséquences de la Seconde Guerre mondiale et le nouveau contexte géopolitique international, symbolisés par la création de l’Etat d’Israël change les structures traditionnelles des diasporas juives dispersées à travers le monde. Le jeune Etat hébreu a besoin de masses démographiques importantes pour survivre et se développer.

En France, dans l’immense pagaille qui suit la Libération, Marseille voit affluer des milliers d’hommes et de femmes qu’il faut abriter : Juifs rescapés des camps d’Europe centrale ou venus du Maghreb, en quête de la Terre Promise… Dès 1947, la France va permettre le transit sur son territoire d’immigrants venant de tous les pays, et de volontaires juifs et non juifs en partance pour la Palestine. A l’époque, la police française facilite la alyah des Juifs qui affluent des pays d’Europe de l’Est et d’Allemagne, non par amour pour la cause juive et sioniste mais surtout pour gêner leurs rivaux anglais au Moyen-Orient

En 1948, après la déclaration d’Indépendance du nouvel Etat d’Israël, anciens pilotes, tankistes et commandos aguerris de la Seconde Guerre mondiale, jeunes ou rescapés des camps d’extermination, derniers représentants de familles anéanties dans l’holocauste, décident de ‘’monter’’ dans le jeune Etat, convaincus également de la nécessité de préserver l’existence d’Israël déjà menacée par la déclaration de guerre des pays arabes alentours. Tous passent par le camp du « Grand Arénas » à Marseille. 

Le camp de transit du « Grand Arénas », dans le quartier de Mazargues, en activité depuis les années 1930, est très représentatif des camps de cette époque. Au départ, ces lieux ne sont pas prévus pour y installer des camps ; ils sont envisagés comme des sites provisoires qui ne justifient pas la construction de bâtiments spécifiques autres que des baraquements temporaires. Celui de L’Arénas, situé entre la prison des Baumettes et le village de La Cayolle, comportait des baraques à l’allure de tonneaux renversés entouré d’une clôture de barbelés ou de murs.

Au début des années 1950, il est affecté à l’accueil de déportés « apatrides » puis à celui, beaucoup plus important, des Juifs d’Afrique du Nord quittant le Maroc et la Tunisie en voie de décolonisation, voulant gagner Israël par idéal sioniste. Au sein du camp, la vie des familles qui y séjournent tente de s’organiser. Le temps du passage des immigrants y est souvent plus long qu’ils ne l’imaginent. Si le camp est officiellement placé sous la responsabilité du commissaire principal du secteur portuaire, les réfugiés, eux, sont concrètement « accueillis par l’Agence juive en attendant leur départ pour Israël ». Les responsables de l’agence juive considèrent ce camp comme une étape nécessaire de leur parcours sur le chemin de la renaissance nationale.

Ainsi, le ‘’Grand Arénas’’ éloigné du centre urbain de Marseille, sert à gérer les flux migratoires en partance pour la Palestine, vu qu’il est le principal port d’embarquement français pour la Terre Promise.

La présence des organisations juives, puis d’agences israéliennes au coeur même du camp qui dispose d’autre part de ses propres services, apparaît comme l’élément le plus original de cette période.

En 1966 l’agence juive cesse d’utiliser le ‘’Grand Arénas’’ qui est finalement détruit en 1973, emportant ainsi avec lui, non seulement une sombre page de l’histoire de France, mais aussi celle de l’immigration juive d’Europe et d’Afrique du Nord vers Israël.

 

 Israel Magazine / Noémie Grynberg 2004


[1] Marc Bernardot, Maître de conférences à l’Université de Lille I, CNRS Clersé Plein Droit n° 58, décembre 2003 « Des camps pour étrangers » Des camps en France (1944-1963)