La guerre des Six jours et ses conséquences sur les Juifs de diaspora

Alors que l’État hébreu est menacé de destruction 20 ans après la Shoah, la situation provoque l’angoisse d’une partie de la diaspora. Les Juifs sont amenés à se positionner par rapport à la survie d’Israel et à redéfinir leur appartenance. La guerre des Six jours déclenche pour beaucoup un réveil identitaire et politique.

En 1967, la menace vitale qui pèse sur Israël affecte les Juifs de par le monde. Elle provoque une prise de conscience communautaire, une proximité avec l’Etat hébreu.

La guerre renforce donc la solidarité entre les Juifs, les enracinant dans un centre symbolique désormais incarné par Israël, leur donnant un destin commun, relançant la notion du « nous ». Elle suscite la fierté de la capacité de la Nation juive à survivre. Le souci commun d’Israel montre aux Juifs eux-mêmes combien leur attachement au pays devient significatif

Ainsi, l’identité des Juifs de diaspora évolue d’une conscience nationale en celle d’une communauté ethnique au-delà du religieux, analyse le Professeur Sheffer, spécialiste des relations Israel/diaspora à l’INSS (Institut de Recherche en Sécurité Nationale) de Tel Aviv.

Cependant, selon lui, le problème des territoires conquis en 1967 reste une ligne de fracture parmi les Juifs de l’étranger comme d’Israel. Par exemple aux Etats-Unis, la division se creuse entre Démocrates et Républicains. Au fil des ans, les ‘’anti’’ s’éloignent peu à peu du foyer national juif et leur opposition aux territoires se renforce.

Par contre, la question de Jérusalem semble faire davantage l’unanimité. Beaucoup de Juifs de diaspora, supporters de l’Etat hébreu, s’y sentent liés. En revanche, concernant la Judée Samarie, seuls ceux proches d’Israel y attachent de l’importance. Les autres seraient plutôt en faveur de la solution des deux Etats, affirme Sheffer.

Réveil identitaire en Occident et à l’Est

Globalement avant 1967, les communautés juives de diaspora n’accordent pas une grande place au jeune État hébreu. Mais la guerre des Six Jours bouscule tout.

En France, l’« attaque préventive » suscite chez les Juifs un sursaut du lien avec Israël, un sentiment de fraternité avec l’Etat hébreu. Pour Samuel Ghiles-Meilhac, la guerre favorise une union au sein des ashkénazes et des séfarades d’Afrique du Nord, créant la ‘’communauté’’. Un puissant mouvement de solidarité multiforme se met en branle. Le soutien très fort à Israël devient un élément central de la nouvelle identité juive française. Des personnalités bien assimilées comme le penseur Raymond Aron se sentent soudain personnelle concernées. C’est le début du nouveau militantisme juif, mené par la jeune génération de l’après-guerre. L’évolution de l’identité juive et de la relation à l’Etat hébreu déclenche l’alyah de figures marquantes comme la psychanalyste Éliane Amado-Lévy-Valensi, le Rav Léon Ashkénazi ou l’écrivain André Neher.

De l’autre côté de l’Atlantique, le choc de 1967 transforme également la communauté. D’après Ira Chernus, professeur à l’Université du Colorado, avant la guerre des Six jours, les Juifs américains ne se définissent pas par leur affinité particulière avec Israël, ni par l’antisémitisme, la Shoah, des valeurs, croyances ou comportements spéciaux qui les séparent des non-juifs. Mais la situation spectaculaire de 1967 crée une nouvelle forme de judéité appelée par l’historien américain du judaïsme, le rabbin Jacob Neusner, le « judaïsme de la Rédemption » qui repose sur quatre postulats :

– l’antisémitisme a toujours été et sera toujours une menace pour les Juifs partout.

– les Juifs ont une relation spéciale avec la terre d’Israël.

– seulement dans la mesure où l’Etat juif existe, avec une population juive majoritaire, les Juifs peuvent se sentir partout en sécurité et se protéger contre la menace de l’antisémitisme.

– l’existence sûre d’Israël est le seul et unique symbole de l’existence sûre des Juifs et du judaïsme pour toujours.

A l’opposé, dans le bloc de l’Est, la situation se complique. L’Union soviétique ridiculisée par la défaire arabe, se venge sur la communauté juive et resserre la visse. Pourtant en URSS, les Juifs ne contiennent pas leur exubérance face à la victoire israélienne. Mais l’euphorie n’entraine pas une nouvelle vague d’alya.

En Ukraine, Israel joue aussitôt un immense rôle dans le développement de la conscience nationale juive. Les leaders communistes tentent alors de combattre l’émigration par des méthodes de rétorsion politiques et administratives.

Répression dans les pays arabes

La guerre des Six jours sonne définitivement le glas du mythe de l’entente cordiale entre communautés juives et musulmanes dans les pays arabes.

L’Egypte procède à des confiscations de biens. Plusieurs centaines de personnes sont arrêtées, incarcérées et torturées.

La Lybie prêche le Jihad contre les Juifs dans les mosquées et des émeutes antijuives éclatent. Certains sont assassinés, les autres sommés de contribuer à la levée de fonds pour ‘’la cause palestinienne’’. Les commerces des Juifs situés dans la vieille ville de Tripoli sont incendiés, 60 % des biens de la communauté détruits. À Benghazi, des synagogues sont démolies. Quelques réfugiés immigrent en Israël.

En Tunisie, dans la capitale, des milliers de manifestants détruisent les magasins juifs et mettent le feu aux lieux de culte, notamment la Grande synagogue avec ses livres et rouleaux de Torah. La foule déclenche un pogrom. 7.000 Juifs émigrent vers la France et 2.362 vers Israël.

Au Maroc, la guerre provoque le départ de la moitié des 50.000 Juifs restant dans le royaume.

Au Liban, les Juifs se sentant en danger émigrent vers l’Europe ou Israel.

En Syrie, les Juifs se voient interdire de quitter le pays. Beaucoup tentent de s’échapper par le Liban pour arriver en Israël. Ceux attrapés sont exécutés ou condamnés aux travaux forcés, leur famille retenue en otage, emprisonnée ou dépouillée de ses biens. À Kameshli (Kurdistan syrien), Damas et Alep, un couvre-feu est imposé aux membres de la communauté. Puis, ils ne sont plus autorisés à travailler pour le gouvernement ou les banques. Leurs comptes sont gelés ; il leur est interdit d’acquérir un permis de conduire et d’acheter des biens fonciers ; beaucoup perdent leurs emplois ; les écoles juives sont fermées et remises aux musulmans. Le cimetière juif de la capitale est détruit. Les quartiers juifs et les synagogues sont sous surveillance constante de la police secrète. Tout comme les contacts avec des étrangers, les conversations téléphoniques et le courrier.

En Irak, 1967 donne le signal d’arrestations massives, de tortures et de violentes campagnes officielles contre les Juifs, exaltant la persécution et le meurtre.

Enfin à Aden au Yémen, une centaine de Juifs sont assassinés, la grande synagogue incendiée, les biens juifs pillés et détruits.


Noémie Grynberg / Israel Magazine 2017


Harriet Hartman (1997), ‘’Dimensions of Jewish Identity among American Jews’’, Jewish Demography, vol 29, pp. 239-260, Avraham Harman Institute of Contemporary Jewry

(2009/4), ‘’Les Juifs de France et la guerre des Six Jours : solidarité avec Israël et affirmation d’une identité politique collective’’, Matériaux pour l’histoire de notre temps, N° 96, BDIC, Nanterre

(2007) Peace, Justice, and Jews: Reclaiming Our Tradition, Bunim & Bannigan Ltd, New York