Les rabbins pendant la Shoah : au-delà du rôle spirituel, des héros communautaires

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La notion de Juste des Nations existe depuis longtemps pour les goyim mais celle de ‘’sauveteurs juifs’’ n’est apparue que récemment. Pourtant, ils furent nombreux ceux qui au double péril de leur vie – en tant que juif et que résistant – ont fait preuve de bravoure et d’actes héroïques pendant la Shoah. Parmi eux, des rabbins ont entrepris de s’opposer à la barbarie de l’extermination en organisant le sauvetage de nombre d’enfants et familles. Dans toutes les régions de l’Europe occupée, ils ont œuvré à la survie du peuple juif pourchassé et promis à une mort atroce.

Jusqu’en 2001, la notion de ‘’sauveteurs juifs’’ n’était pas officiellement reconnue, comme si pendant la Shoah pour les Juifs, il était normal, évident, de sauver leurs coreligionnaires. Depuis 10 ans, cette lacune a été palliée : des milliers de ’’sauveteurs juifs’’ ont maintenant acquis une reconnaissance. Et parmi eux, de nombreux rabbins dont une des grandes personnalités françaises, le rabbin Simon Fuks (1911-2008). Aujourd’hui, sa fille Esther Koen Fuks, qui vit en Israël, témoigne de l’action de son père pendant la Shoah.

Comment votre père a-t-il été amené à sauver des Juifs pendant la Shoah ?

Esther Koen : En 1941, chargé par le Grand Rabbin de France d’exercer sa charge à Agen, mon père débute une activité de sauvetage dangereuse mais féconde jusqu’en avril 1943. En tant que responsable de la communauté, il est amené à visiter des camps d’internement. Alerté par le sort des Juifs, il entreprend de faire sortir des internés des camps, de prévenir les personnes avant les rafles, etc. C’est un travail collectif aussi bien avec l’aide d’autres Juifs qu’avec celle des non Juifs.

Qu’est-ce qui l’a motivé à agir ?

E. K. : Mon père était prêt à se sacrifier pour sauver autrui, à surmonter son propre désir de vivre ou de sauvegarder sa famille, au-delà de lui-même et de ses proches. Pour lui, sauver sa peau ne suffisait pas. C’était  son devoir, sans se soucier de savoir ce qui allait advenir de lui. Il a vraiment risqué sa vie puisqu’une fois, des hommes sont même venus le chercher. C’était à la mi-mars 1943, quatre messieurs ont sonné à la porte, déclarant venir de la part de la police. Ma mère a répondu que mon père était en voyage. En fait, il a eu le temps de se dissimuler sous les combles. Les hommes ont fouillé partout, même le grenier, mais ne l’ont pas trouvé. Finalement, mon père déguisé en femme, est allé se cacher chez des amis. Activement recherché par la milice en raison de ses activités clandestines, il s’est réfugié à Genève avec sa famille. Ainsi, mes parents ont terminé la guerre en Suisse où je suis née.

Comment opérait-il ?

E. K. : Mon père s’est investit dans la Résistance avec l’aide de ma mère. Grâce à son immunité provisoire, à des renseignements obtenus auprès de la préfecture et à certaines complicités, mon père s’est employé à sauver des Juifs menacés de rafles et de déportations. Il a pris beaucoup de risques : fabrication de faux papiers, assistance aux évadés principalement ceux du camp de Casseneuil dont il était l’aumônier, aide aux passages en Espagne, soutien matériel aux Juifs étrangers, etc. Il a rendu visite aux Juifs étrangers internés dans les camps de Rivesaltes et de Casseneuil et subrepticement fait sortir des prisonniers du premier, aidé les réfugiés à obtenir des rations alimentaires, fourni des faux papiers et fausses cartes d’identité, trouvé des filières d’émigration clandestine vers la Suisse et l’Espagne, organisé des évasions des camps, etc. Pour obtenir la libération des femmes, mon père leur disait de se déclarer enceinte.

Après la Shoah, est-il demeuré en contact avec les gens qu’il a sauvé ?

E. K. : Oui, plusieurs personnes ont gardé des liens avec mon père, par lettre ou en venant le visiter parfois. Les rapports sont restés surtout épistolaires, au travers de correspondances.

Comment avez-vous appris son action ?

E. K. : Depuis que je suis née, j’ai entendu les histoires de mon père à la maison. Petite, je ne m’intéressais pas beaucoup à ses souvenirs. Plus tard, il ne répondait pas vraiment à mes questions.

Que vous inspire le fait que votre père soit considéré comme ‘’un sauveteur juif’’ ?

E. K. : Beaucoup d’admiration. Plus les années passent, plus je trouve que mon père a fait quelque chose d’extraordinaire, d’audacieux. Je suis fière de lui.

Noémie Grynberg 2011