L’immigration russe en Israel : mythes et réalités

Suite à la chute de l’ex-URSS, l’immigration massive de plus de 800.000 Juifs de l’ancien bloc soviétiqueen Israel a provoqué un grand bouleversement national. Ce phénomène a constitué un véritable défi d’intégration à Israël et est devenu un des grands sujets de débats de société. Il a soulevé beaucoup de questions et suscité de nombreuses interrogations. Qu’en est-il au juste du bilan d’intégration de cette  alya 10 ans après son arrivée en masse?

Selon le ministère de l’Intérieur, sur un total de quelque 800.000 immigrants de l’ex-URSS venus s’installer en Israël durant les dix dernières années, 208.000 n’étaient pas Juifs. Cette proportion semble s’accroître, puisqu’elle serait actuellement de 50%, toujours selon la même source. Il faut expliquer ce chiffre en précisant que dans l’ex-URSS comme en Occident, 50% des mariages sont mixtes. Et selon la ‘’Loi du Retour’’, les conjoints non Juifs bénéficient des mêmes droits que les Juifs. Depuis l’année 2000, l’Ukraine est la république d’où immigrent le plus de Juifs de l’ex-URSS, devant la Russie.

L’immigration massive des Juifs d’ex-Union Soviétique en Israel a été une chance pour le pays. Elle a représenté un défi socio-économique considérable. Elle a en effet contribué au dynamisme de l’économie nationale. Elle a dopé des secteurs comme celui de la construction et du trafic aérien vers leurs pays d’origine et a changé les données démographiques nationales. Beaucoup de nouveaux immigrants ont choisi de s’installer dans les nouvelles villes de développement. Le russe, 3 langue du pays bien que langue non officielle, figure donc parmi celles les plus parlées en Israel. Malgré les efforts du gouvernement, l’incapacité du marché de l’emploi israélien à intégrer toute cette nouvelle population active a eu pour conséquences de pousser les Juifs d’ex-URSS vers des emplois non-qualifiés ou moins qualifiés, ce qui a généré une forte perte de statut social pour nombre d’entre eux. Face à ces problèmes et poussés par le refus d’accepter plus longtemps un emploi non-qualifié, de plus en plus d’immigrants ex-Soviétiques ont décidé de créer leur propre entreprise.

Mais tous les immigrants de l’ex-URSS ne sont pas logés à la même enseigne suivant qu’ils viennent de Russie ou des Républiques d’Asie centrale. En effet, ceux venus du Caucase et d’Asie centrale se trouvent au centre des grandes fractures actuelles de la société israélienne. Souvent de condition modeste, ils règnent sur le trafic de drogue. Ce fait inquiète les autorités israéliennes, au point qu’elles ont décidé de créer d’une unité de police spécialisée dans la lutte contre la criminalité issue de l’ex-URSS.

Mythe ou réalité ?

La société israélienne reproche souvent aux immigrants de l’ex-URSS de ‘’faire bande à part’’, de ne pas vouloir s’intégrer. Mythe ou réalité ?

Au début des années 1990, ces immigrants éprouvaient un sentiment de détresse face au manque de soutien social, habitués culturellement à la dépendance envers les autorités du régime totalitaire soviétique.

Dans l’ensemble, la société israélienne de par sa nature-même, permet à l’immigrant de garder les normes de sa culture d’origine en même temps que d’intégrer les nouvelles règles de la société dont il devient partie intégrante. Dans les faits, ce que l’on peut remarquer de prime abord, c’est que cette population a recréé en Israel son propre réseau culturel, médiatique et politique. Malgré les années de présence dans le pays,  elle continue d’éditer et de lire principalement une presse en russe. Sans compter la télévision.

Depuis plusieurs années, Nelly Zilber, chercheuse au Centre de recherche français de Jérusalem, s’est penchée sur la situation des immigrants de l’ex-URSS dans leur nouveau pays d’adoption et a mené plusieurs études.

La première question qui se pose est : comment évalue-t-on le degré de réussite d’une intégration?

Il existe pour cela des critères objectifs tels que : le travail, le logement, la langue. Concernant le travail, entre 1990 et 1995, le pourcentage de personnes employées à plein temps est passé de 17% à 70%. Par contre, près de la moitié des immigrants de l’ex-URSS ont constaté une chute de leur statut professionnel. Pour le logement, durant cette même période, le taux d’accession à la propriété est passé de 2% à 57%. Quant à l’hébreu, le pourcentage de personnes maîtrisant la langue est passé de 19% à 54% en l’espace de 5 ans.  Mais beaucoup de  seniors ont éprouvé des difficultés à acquérir la nouvelle langue. Ils ont donc majoritairement continué à utiliser leur langue maternelle.

Cependant, les critères matériels ne sont pas les seuls. Il faut également prendre en compte les critères psychologiques, culturels et sociaux. Ainsi le taux de démoralisation liée aux nouvelles conditions de vie est certainement un indicateur d’une bonne ou d’une mauvaise intégration ainsi que le degré de satisfaction.

Le ministère de l’intégration précise que 60% des immigrants de l’ex-URSS ont retrouvé une vie sociale et 42% une vie culturelle 3 ans après leur arrivée en Israel. Des résultats encourageants montrent que 71% des immigrants de l’ex-URSS partagent un sentiment d’appartenance envers leur nouveau pays d’adoption, de solidarité et de destin commun avec les Israéliens (surtout après la Guerre du Golfe) et que 90% d’entre eux sont certains de rester en Israel. 75% des immigrants disent être satisfaits de leurs nouvelles conditions de vie. Seuls un peu moins de 10% d’immigrants se sentaient davantage soviétiques qu’Israéliens dans les premières années de leur arrivée.

D’après tous ces critères, on constates que les immigrants les plus âgés sont ceux qui éprouvent le plus de difficulté d’adaptation, surtout chez les femmes.

Pour Nelly Zilbert, il y a une spécificité de l’immigration russe en Israel. D’abord, il s’agit d’une immigration massive. Il n’y a donc pas eu de phénomène de ‘’sélection’’ propre à tout déplacement. Dans les premières années, 79% des immigrants étaient âgés de plus de 40 ans. Aujourd’hui, la tendance s’est un peu inversée : ce sont surtout les jeunes qui immigrent. Ensuite, elle est surtout familiale plutôt qu’individuelle. Cela s’explique par le fait que, dans leur pays d’origine où la structure familiale est restée forte, des liens étroits unissent traditionnellement plusieurs générations vivant souvent sous le même toit. Ceci peut donner une impression de solidarité «ethnique». Globalement, le niveau éducatif et professionnel de cette population semble assez élevé (beaucoup de médecins, d’ingénieurs, de scientifiques, sans compter les artistes). Cela représente un réel enrichissement social pour le pays. La venue en Israel a ceci de particulier qu’il ne s’agit pas seulement comme pour les autres migrations d’un déracinement. Ici au contraire, il s’agit aussi d’un ré-enracinement dans sa propre histoire.

La déconfiture du parti politique russe Israel Baalyia aux dernières élections est un autre indicateur intéressant du niveau d’intégration des ressortissants de l’ex-URSS. En effet, elle résulte du processus normal d’assimilation d’une communauté qui, au début revendique des droits spécifiques, puis finit par se sentir comme faisant partie de l’unité nationale.

 

Israel Magazine / Noémie Grynberg 2003