L’industrie du shofar : un savoir-faire précieux

S’il est bien un artisanat juif peu connu basé sur une maîtrise ancestrale, c’est bien celui du shofar, même si quelques modernisations ont été apportées à leur préparation depuis les temps anciens. En Israël, deux producteurs se partageaient le gros du marché. Ces dernières années, ils ont fusionné et fabriquent aujourd’hui la plupart des cornes vendues dans le pays et à travers le monde. Intrusion dans l’univers secret de ces maîtres ouvriers.

Shofar 2Les shofars manufacturés aujourd’hui en Israël sont utilisés par 80% des communautés. Leur production s’avère rapide et relativement peu chère : 300 shekels en moyenne. Contrairement aux instruments d’avant qui ne duraient que 5 à 10 ans, les récents résistent 40 ans. Les fabricants qualifiés savent traiter chaque type de corne suivant le son recherché. Le réglage de la tonalité peut se faire à la demande : forte, grave, rugueuse, faible ou geignarde. Comment ? Chut, c’est un secret professionnel bien gardé.Une tradition artisanale familiale
En général, l’industrie du shofar est détenue de famille en famille et se transmet d’une génération à l’autre. En Israel, l’entreprise Bar Sheshet compte 15 générations de producteurs. Elle a débuté en 1345 en Espagne avec l’aïeul Rabbi Yitzhak Bar Sheshet (Rivash). Après l’expulsion des Juifs de la péninsule ibérique, la famille s’est réfugiée au Maroc où elle a continué à produire des trompettes jusqu’à il y a environ cinquante cinq ans. Lorsque Meir Bar Sheshet est monté en Israël en 1948, la première chose qu’il a faite est d’aller au Kotel sonner du shofar. Le nouvel immigrant s’est installé à Haïfa, au cœur de la rue Herzl, et a repris l’activité familiale. Aujourd’hui – 670 ans après la fondation de la première entreprise en Espagne – la tradition se poursuit.
Autre lieu mais même passion. Abraham Rybak, 75 ans, d’origine polonaise, installé à Tel-Aviv cette fois, rue Nahalat Binyamin, détient son art de son cousin, le Rabbin Yaacov Rossman, autrefois bien connu dans les shtetls pour ses fameux shofars. En quittant son pays natal pour immigrer en Israel en 1927, Rossman a poursuivit son activité dans le quartier de Florentine. N’ayant pas d’enfant, il a légué son entreprise à Abraham.
Rybak et son collègue de Haïfa qui ont depuis fusionné, fournissent à eux deux 70% du marché, soit 5.000 instruments par an – dont la moitié vendue à l’exportation à travers la planète. « Nous sommes partenaires mais chacun garde son indépendance. Tous les jours, nous avons des conversations téléphoniques qui durent des heures et nous nous rencontrons deux fois par semaine. Cela suffit, il n’en faut pas plus » confie le vieux Bar Sheshet. « Chacun est bon dans son domaine et apporte son savoir. Ensemble, nous produisons mieux » ajoute Rybak père. Chacun selon ses secrets. Aujourd’hui, la nouvelle génération – Eli, 42 ans, fils d’Abraham et Shlomi, 27 ans, petit-fils de Meir – prennent la relève de leurs ainés. Enfants de leur temps, ils ont introduit dans l’entreprise un peu de modernité. Désormais, les shofars – quels que soient les types de cornes – ne sont plus réalisés un à un mais simultanément, pour moitié manuellement et pour l’autre mécaniquement, entre Haïfa et Tel-Aviv, confie Eli. Au demeurant, l’entreprise est supervisée par le Rabbin Arié Levine, spécialiste des shofars auprès du Rabbinat, le Ministère de l’Agriculture et l’Autorité de la Nature et des Parcs, précise le fils Rybak.
L’atelier, le premier et plus vieux de Tel-Aviv, passe inaperçu si l’on ne devine pas l’adresse : une entrée presque anonyme. Mais les connaisseurs semblent bien informés. A quelques jours de Rosh Hashana, ils viennent choisir eux-mêmes un instrument, l’essayer, comparer les sons avant de se décider pour l’un plutôt qu’un autre. Sur place, un peu partout, des dizaines de caisses de shofars attendent preneurs. Il y en a de toutes sortes : petits, grands, lourds, légers, droits, torsadés, polis, brillants, bruts. Et de toutes les teintes, les nuances : rosé, noir, brun, grège, uni, bicolore, etc. Là, on s’aperçoit de la diversité qui existe dans les formes, les couleurs, les sonorités. En outre, d’après l’orientation de la corne, les shofars sont adaptés pour ceux qui sonnent à droite ou à gauche. Les artisans savent aussi adapter les instruments aux particularités de toutes les communautés. Le prix de départ s’élève à 300 shekels pour un simple et monte jusqu’à 1000 shekels pour un très particulier. Mais le plus vendu reste le modèle classique brillant séfarade.
Du reste, il existe un troisième atelier de fabrication de shofars, établi en 1998 dans les hauteurs du Golan : celui de Shimon Keinan, lui aussi originaire du Maroc. Pour sa production, il utilise les anciennes méthodes traditionnelles combinées à de nouvelles techniques, à l’aide d’outils développés et modifiés par ses soins pour ses besoins. Cette usine située à Givat Yoav, s’enorgueillit d’être la plus moderne et avancée du monde dans son domaine. Ses nouveaux standards affectent directement la qualité et la classe de ses instruments. Par ailleurs, l’atelier qui fonctionne depuis 2009 à l’énergie solaire non polluante, est sous supervision rabbinique et reconnu pour sa stricte observance. Parmi ses clients citons : le Rabbin Mahpud, Badatz, le Ministère de la Défense, le rabbinat militaire et d’autres rabbins bien connus.

Différentes sortes de shofars
Au cours des siècles, chaque communauté a adopté sa propre forme de corne et sa sonnerie spécifique. Chacune d’elle a maintenu sa tradition. Celles d’Espagne utilisent un instrument plat et droit. La raison : dans le passé, il était interdit aux Juifs de posséder un shofar et de l’utiliser. La forme plate et droite leur permettait de le cacher dans leur ceinture, ni vu, ni connu. Les Nord-Africains conservent aussi la forme traditionnelle droite.
Les Juifs de Pologne optent, comme ceux d’Espagne, pour la même forme mais avec un son geignard et étranglé. Certains expliquent cette préférence du fait que dans les siècles précédents, lorsque les Polonais partaient à la guerre, ils sonnaient de la corne. Alors, quand les Juifs soufflaient du shofar à Roch Hachana, les Polonais pensaient que la guerre avait éclaté, ce qui causait leur colère. Pour ne pas les effrayer, les Juifs ont modifié le son de leur trompette.
Les communautés des Pays-Bas et d’Italie utilisent jusqu’à ce jour un instrument taillé dans de la corne de chèvre et non de bélier. Pourquoi ? Parce qu’étant plus droite, il était plus aisé de travailler la matière des chèvres vivant dans ces contrées.
Enfin les Juifs du Yémen emploient deux sortes de corne : de bélier ou de Kudo (une espèce d’antilope du désert), de forme longue et torsadée. Certaines se servaient également d’une corne de bouc, très longue, qui ne nécessite pas d’être percée. Il était de coutume de la décorer et de la parsemer de gemmes.

Une matière première délicate
Le mot shofar viendrait de la contraction de deux mots hébreux : shor (taureau) + par (bœuf). Cependant, il est interdit de sonner de la corne de bovin à cause de la faute du veau d’or.
Le shofar est essentiellement constitué de la même matière que nos ongles – la kératine – provenant habituellement d’une corne de bélier âgé de un an ou plus, en mémoire de la ligature d’Isaac. Comme Israël n’élève que peu de béliers mâles et pas d’antilopes aptes à la production des instruments, les cornes locales, assez rares, coûtent deux fois plus chères que celles importées. Aussi, les fabricants les font-ils venir de différents coins du monde, principalement du Maroc, d’Algérie, d’Egypte et des pays d’Afrique du sud. Ces derniers temps, de bonnes cornes sont de même importées d’Australie

Shofar Ribak et de Nouvelle-Zélande qui possèdent d’énormes troupeaux d’ovins de haute qualité. Les cornes naturelles sont achetées en vrac – au tonnage – sachant que le poids moyen de chacune est de 1à 2 kg. La marchandise est envoyée en Israël par bateau. Mais elle peut vite se déprécier : à la moindre fissure ou fracture, le shofar devient impropre. Or la majorité des cornes arrive fendue et certaines, pourries. Seuls 30% de la cargaison parviennent au stade du traitement. Au cours de l’usinage aussi, le matériau peut se fendre et donc perdre de la valeur. C’est pourquoi les fabricants de shofar sont soucieux de recevoir des cornes solides, d’au moins 50 cm de long.
Attention toutefois aux contrefaçons. Selon Eli Rybak, en Israel quelques manufacturiers peu scrupuleux ramènent en douce du Maroc ou de Chine des shofars non vérifiés, qu’ils mêlent à leur propre production.Le processus de fabrication
Un bon shofar s’avère celui dont la sonnerie sort facilement et se fait entendre clairement. Pour en arriver là, on compte 5 étapes distinctes dans la confection de l’instrument : le chauffage, l’alignement, le perforage, le polissage et le modelage/décoration. Il faut environ 2 à 3 heures pour produire un shofar.
Après l’abattage des animaux, commence un processus complexe qui sépare la corne de l’os. C’est un travail difficile qui exige des compétences particulières pour ne pas briser la matière brute. Ce savoir-faire reste confidentiel.
Une fois séparé l’os de la corne, celle-ci est vérifiée pour s’assurer qu’elle est casher. On jette toutes celles qui sont trouées ou fissurées à l’intérieur. Si le défaut est extérieur, la corne passe pour casher.
À ce stade, les pièces appropriées, vidées de leur moelle, sont insérées dans un four pour les stériliser.
Suit la phase la plus difficile – celle du redressement. La corne arrive très tordue et il faut la travailler. Chez les Ashkénazes, le shofar est droit au début et courbé à la fin et chez les sépharades, il est droit. Ce processus d’alignement de la corne demande un gros effort. Il faut la chauffer jusqu’à ce qu’elle semble carbonisée. Une sur deux se brise pendant l’opération. C’est pourquoi le shofar séfarade coute trois fois plus cher.
Une fois la corne redressée, on perce lentement la matière entre l’embout et la partie creuse avec un fer chaud. La chaleur fait fondre la kératine, ce qui constitue une étape périlleuse. Certains shofars se retrouvent à la poubelle à ce point. Pour ceux qui passent le cap, on prépare ensuite l’embout selon la tradition de chaque communauté, suivant le son voulu. Il est également possible, d’après la commande, d’adapter l’embout au besoin spécifique du client. Généralement, les habitués en choisissent un petit et les débutants un plus large. Par contre pour les enfants, aucun problème. Quel que soit le shofar, ils savent naturellement en sonner du fait de leur petite bouche.
En fin de fabrication, on polit la plupart des shofars, soit à la machine, soit à la main, jusqu’à ce qu’ils deviennent lisses et brillants. D’abord grossièrement, puis plus délicatement. Le polissage manuel s’avère bien sûr plus lent. A l’époque, il n’existait pas de shofars brillants. Ils étaient juste polis à la main.
Après les heures passées dans la poussière de corne et l’odeur de brulé, près des fours et des machines de polissage, les artisans tiennent l’instrument enfin terminé, prêt à être vendu. Certains seront encore décorés, soit de gravures, soit de peintures, soit d’incrustations d’argent ou de pierres.

Un objet précieux à soigner
« Aujourd’hui, beaucoup de Juifs possèdent un shofar à la maisons » affirme Rybak. Aussi, avant d’en acheter un, le client peut vérifier lui-même très attentivement s’il est casher ou non, s’il ne comporte pas de fissures ou de trous qui le disqualifierait. Gare justement aux instruments fabriqués à l’étranger comme au Maroc par exemple. Ils présentent souvent des imperfections réparées avec un autre matériau que la corne, ce qui les rend impropres selon la Halakha. En effet, on ne peut réparer un shofar qu’avec la même matière car comme il est écrit, il doit être « tout de lui », ce qui signifie ne pas comporter de substance étrangère. Tout doit demeurer 100% naturel. Réparer un shofar abîmé coute donc assez cher.
Aussi, quelques recommandations pour un stockage longue durée : ne pas emballer l’instrument dans du plastique ou un sac de talith car la corne est constituée de matière organique. Mal stocké, le shofar peut se boucher, gonfler, ternir ou pourrir d’une année sur l’autre. C’est pourquoi il requiert de l’entreposer dans un endroit aéré pour le garder intact et ne pas avoir à le réparer.

« Bienheureux le peuple qui connaît le son du Shofar ! » (Psaume:89/16).