Une originalité hiérosolymitaine : les pashkevils

Pashkvil

Les pashkevils représentent ces affiches ou affichettes imprimées et placardées sur les murs des immeubles ou sur les panneaux publiques des quartiers ultra-orthodoxes comme à Mea Shearim. Cette particularité paysagère hiérosolymitaine témoigne d’un monde en grande partie inconnu de la société israélienne en général.

Le mot yiddish pashkvil a été emprunté au polonais paszkwil, venant du français pasquin, lui-même dérivé de l’italien pasquinata (déclaration diffamatoire, satire ou pamphlet visant une personne particulière). Le mot a ensuite fait son chemin du yiddish à l’hébreu moderne.

Cette prose des rues a commencé au 16e siècle, à l’instar d’une sorte de communication de masse pré-moderne. Mais au milieu du 19e siècle, l’arrivée des journaux et revues bon marché a sonné le déclin de ce mode d’information placardée. Pourtant, en Israël, les pashkevils perdurent encore de nos jours dans la culture propre aux communautés orthodoxes. La plupart de ces traditionnelles annonces en noir et blanc qui tapissent les murs des quartiers haredis restent la principale forme d’expression de cette population puisqu’elle ne recourt ni aux médias modernes et ni aux nouvelles technologies. Rarement retirés, les avis se superposent les uns aux autres, juxtaposant les opinions de la communauté. Ils se substituent ainsi à la télévision, la radio et Internet, bannis d’utilisation dans la pratique haredit.

De quoi débattent-ils ?

Les affichettes s’avèrent le moyen le plus efficace pour communiquer un large éventail d’idées et de points de vue, tels les forums sur Internet. Beaucoup d’avis sont même sujets à controverse et exhortent surtout le public à respecter les lois juives. Les thèmes abordés concernent une multitude de sujets de société : différents politiques, dénonciation des élus orthodoxes à la Knesset, critiques religieuses, disputes sur les labels de cacherout, protestation contre la vente de ‘hamets à Pessah, opposition aux matches de football le Shabbat, batailles contre les salles de cinéma, réquisitoire contre l’avortement, appels à la décence, contestation contre la gay pride, préservation de la tradition, protection des valeurs juives, maintien du système scolaire séparé, demande d’autobus, de  trottoirs et de piscines non mixtes, avertissements contre les menaces de la modernité, mais aussi avis de décès, conférences de rabbins, menus de restaurants, invitations de mariage, cartes de visite, etc.

De la sorte, les pashkvils rappellent clairement à la population en quoi consiste un comportement vertueux ou acceptable, ce qui ne l’est pas et ce qui mérite des remarques. Par exemple, les femmes de ces quartiers sont appelées à ne pas s’attrouper, à ne pas traîner devant les synagogues et, bien sûr, à s’habiller correctement.

Leurs spécificités

La société haredit est de nature communautaire et familiale. Elle gravite autour de la maison d’étude et de la synagogue en tant que lieux de rencontre. La plupart des familles sont liées entre elles par alliance. Par conséquent, les réseaux sociaux et familiaux ultra-orthodoxes se chevauchent. C’est pourquoi, anonymes, signés par de mystérieux groupes ou cautionnés par de faux rabbins, les pashkvils sont couramment employés pour attaquer publiquement une personne ou un groupe, en violation des lois condamnant la médisance. Les annonces servent également à sensibiliser l’opinion sur diverses questions. Leurs messages s’appuient très souvent sur des codes internes à la société haredit, riches de références littéraires traditionnelles juives et de beaucoup d’humour. Le lecteur avisé voit donc ces panneaux comme une fenêtre ouverte sur l’esprit, les intérêts et les préoccupations de la communauté orthodoxe.

Reflets de la société orthodoxe

Cet outil de communication traduit aussi les changements induits par l’évolution technologique, les transitions au sein de la société haredit elle-même, de la société environnante et de la culture israélienne. Chaque affiche raconte l’histoire de sa communauté. L’ensemble permet d’apprendre beaucoup sur la constante préoccupation du monde orthodoxe à maintenir sa tradition distincte, ses valeurs et son système éducatif.

Les pashkevils donnent une vue d’ensemble du domaine haredi à travers les époques. Chaque génération se caractérise par ses problèmes, ses défis particuliers et ses tentatives pour les surmonter. Par exemple, dans les années 70, des rabbins ont utilisé ce média pour prévenir des cambriolages mais aussi pour condamner expressément la mode de la mini-jupe. A la fin des années 80, la scission politique entre Lituaniens et Hassidim s’est affiché sur tous les murs de Jérusalem. En 2009, avec le développement d’accessoires technologiques relativement peu coûteux (MP-4, DVD), des annonces ont sensibilisé la population haredit à l’interdiction de regarder des films de toute nature, y compris en yiddish.

Plus récemment, deux des sujets débattus concernent la mixité dans les transports publics et les “romances” entre jeunes filles orthodoxes et ouvriers arabes travaillant dans les quartiers religieux, nouveau phénomène inquiétant qui tend à se multiplier. Autre défi actuel : le maintien de l’éducation haredit, le statut de la femme orthodoxe, le caractère du domaine public, l’impact de la technologie et des médias modernes.

Ainsi, les murs de pashkvils opèrent comme une sorte de paravent protégeant des dangers extérieurs.

Un témoignage socioculturel

Aujourd’hui, l’intérêt pour les pashkvils attire non seulement les touristes mais aussi des chercheurs, des historiens, des publicistes et même des linguistes. Compte tenu de la portée sociologique, historique et culturelle unique de leur étude, la Bibliothèque Nationale d’Israël a entamé un vaste projet afin de les recueillir et de les préserver. 20.000 archives, certaines ayant une centaine d’années, ont déjà été rassemblées, dont une partie achetée à des collections privées. Ces pashkvils sont désormais conservés dans une section spéciale destinée à la recherche académique.

Noémie Grynberg 2012