Les traditions de l’afikoman

A Pessah, le seder ne peut être complet sans avoir mangé la dernière part de matza : Tsafon. Autrement dit l’afikoman. Ce mot n’est pas d’origine hébraïque mais grecque : ‘’epi komon’’ signifie ‘’dessert’’ d’après le Talmud Babli ou "divertissement après-dîner’’ suivant le Talmud de Jérusalem. Il désigne en tout cas une coutumegrecque et romaine qui avait eu lieu à la fin du repas. Une autre source indique l’origine araméenne des 2 mots qui n’en forment plus qu’un : anfikou = produisez + man = délicatesse/douceur.

Une halakha demande que personne ne quitte la table du seder sans avoir mangé de l’afikoman. Suivant les pays, des tas de traditions se sont développées autour de ce morceau de matza. Par exemple, celle de le cacher symboliquement à l’intérieur d’un coussin utilisé pour s’allonger pendant le seder afin l’accomplir le verset : « Et vous garderez les matzot » (Exode 17). Mais la soirée de Pessah tourne surtout autour des enfants. Tout est fait pour attirer leur attention afin qu’ils ne s’endorment pas au cours du récit de la Haggada. Ainsi l’habitude d’emballer le morceau de galette dans une serviette ou un oreiller et de ne pas le manger sert à éveiller la curiosité des petits et à ce qu’ils s’interrogent à ce sujet. Dans Massehet Pessahim (109a), des instructions pour mener le seder incluent celle, étrange, du Tanya Rabbi Eliazar : « [Les adultes] se volent [l’un l’autre] des matzot pour que les bébés ne s’endorment pas ». L’image amusante de voir s’arracher du pain azyme pendant la nuit de Pessah sert à ce que les enfants restent en alerte pour observer les prochaines ‘’bizarreries’’ que feraient les adultes. Selon le Mekor Haïm, cette coutume démontre aussi l’amour que l’on porte à la mitzva de l’afikoman.

Cependant, le monde oriental et ashkénaze ont chacun a développé des habitudes différentes. En Occident, l’officiant prend l’afikoman enveloppé dans une serviette, le met sur l’épaule d’un enfant et dit « voici comment nos ancêtres sont sortis d’Egypte ». Dans de nombreuses familles, un des enfants (ou tous ensemble) « vole » le morceau d’azyme dans l’espoir de recevoir une récompense si le père le retrouve. Cet enseignement pédagogique ludique veut encourager les jeunes curieux à poser spontanément des questions. Le Rabbi Ungvar (Menashe Klein) dit que cet usage reconstitue le récit biblique dans lequel Jacob ‘’vole’’ la bénédiction destinée à son frère. Le Midrash Pliah raconte qu’Isaac dit alors à Esaü : « Ton frère est venu avec ruse » (Genèse 27:35), ajoutant : « et il a arraché l’afikoman ». Selon le Midrash, l’événement a eu lieu à Pessah. Par conséquent, les enfants volent le bout de matza pour obtenir une bénédiction de leur père, comme cadeau en échange du ‘’dessert’’.

Ou alors, les jeunes le cachent afin que le chef de famille le « rachète » en leur promettant souvent de l’argent.

A l’inverse des ashkénazes, il n’est pas de tradition chez les sépharades de ‘’voler’’ la galette car selon les sages, cela ne s’avère pas très éducatif de permettre aux petits un tel acte en contradiction avec un commandement de la Torah. Par contre, dans certaines communautés orientales, lorsque le seder arrive au yahatz, au lieu de cacher l’afkoman, il est attaché sur l’épaule d’un enfant qui quitte la pièce puis frappe à la porte. L’assemblée lui demande : « Qui es-tu ? »  Il répond : « Israël. » « Qu’est-ce que tu portes ?  – De la matza. » L’enfant entre alors dans la pièce, regarde la table de fête et commence à poser les Quatre Questions. L’afikoman reste sur son épaule jusqu’à ce qu’il soit temps de le manger.

Il existe différentes versions de cette tradition ainsi que d’autres usages suivant les contrées. Voici l’occasion de les découvrir.

Eretz Israël

Une coutume répandue était de prendre la plus grande partie de la matsa du milieu et de l’envelopper dans un tissu blanc. Celui-ci était placé sur l’épaule droite puis gauche de chacun des participants autour de la table. Le dernier qui le recevait récitait le verset (Exode, 34) : « Leurs plateaux de pétrissage étaient attachés dans des tissus sur leurs épaules. » Il faisait alors quatre pas et les convives lui demandaient : « D’où viens-tu ? » À quoi il répondait : « d’Egypte. » « Et où vas-tu ? – A Jérusalem. » Puis tous se levaient et déclaraient ensemble : « L’année prochaine à Jérusalem ! »

Kurdistan

L’officiant du seder donne à garder l’afikoman à la personnalité la plus importante assise autour de la table. Certains l’entourent d’une serviette ou d’un mouchoir et se l’attachent dans le dos pour que personne ne le leur dérobe. Mais le jeu des enfants consiste bien sûr à tenter de le subtiliser.

Irak

La tradition consiste à garder le morceau d’azyme dans une belle serviette attachée dans le dos du plus jeune des enfants jusqu’à la fin du repas. Le benjamin doit bien prendre garde à ce qu’on ne le lui ‘’vole’’ pas. Si jamais cela arrive, l’enfant doit donner une somme d’argent au chef de famille. Aussi, gardait-il très très précieusement l’afikoman. Si le chef de famille n’a pas d’enfant, il s’accroche le morceau sur son propre dos ou sur celui de sa femme.

Syrie

Avant de réciter le ‘’halahma anya’’ (voici le pain de misère), les fidèles enroulent l’afikoman dans la serviette à matsa et forment une sorte de baluchon placé sur l’épaule d’un des garçons. L’assemblée lui demande alors « d’où viens-tu ? » L’enfant répond « d’Egypte », et ainsi de suite.

Yémen

Dans cette communauté, l’officiant du seder se lève, jette l’enveloppe contenant le ‘’dessert’’ sur son épaule et tourne autour de la table en s’appuyant sur une canne. En parcourant la pièce, il raconte aux autres participants ses ‘’expériences’’ et les miracles qu’il a vus en Egypte.

Afghanistan, Iran et Boukhara

Les Juifs ont l’habitude de conserver un morceau d’afikoman comme protection contre le mauvais œil.

Maroc

La tradition est de garder le bout d’azyme contre le mauvais œil ou pour attirer son gagne-pain. Ceux qui partent en voyage à l’étranger ont aussi l’habitude d’emporter avec eux l’afikoman, considéré comme une protection contre les orages et les naufrages.

Libye

De même, les Juifs originaires de ce pays conservent le bout de ‘’dessert’’ pour les protéger des tempêtes en mer. Si lors d’une traversée il y en a une, le voyageur jette le morceau de matsa dans les eaux pour les calmer.

Tunisie

Les Juifs de là-bas gardent l’afikoman comme segoula (protection) pour le reste de l’année. Certains pensent qu’il est particulièrement efficace pour calmer une tempête en mer. D’autres le mettent en poche pour prévenir des dangers lors de voyages.

Géorgie

Le chef de famille met le morceau de galette dans un mouchoir qu’il accroche à l’épaule d’un enfant qui le porte ainsi tout au long de la soirée.

Pologne

Au dix-septième siècle, les Juifs brisaient un morceau de l’afikoman et l’accrochaient au mur.

Quelle que soit la tradition, l’afikomane qui représente un substitut du sacrifice de Pessah, est la dernière chose à manger lors du Seder, afin de conserver le goût du pain azyme dans nos bouches (Pessahim 119a).

Noémie Grynberg, 2017