Ouman, la prophétie du Rabi

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Surtout depuis le XVIIIe et XIXe siècle, la ville d’Ouman, aujourd’hui en Ukraine, a été le point de convergence d’une importante communauté juive. Avant la seconde Guerre Mondiale, les Juifs représentaient encore la moitié de la population. Mais après la Shoah, ils n’étaient plus que 5%. Grâce à l’essor du mouvement Breslev, la ville a retrouvé son statut de centre spirituel pour un grand nombre de Juifs. Rosh Hashana en est devenu un de ses moments capitaux.

Historiquement, la ville d’Ouman est le tombeau de  trente mille juifs immolés par les cosaques lors d’un pogrome en 1768 pour avoir refuser l’idolâtrie.

Mais pour le hassidisme, Ouman est surtout le berceau du Rabbi Nahman de Breslev, arrière petit-fils du Baal Chem Tov. Maniant à la fois la prière et la danse, la polémique et les contes philosophiques, il proclamait qu’« il est interdit d’être triste ». C’est à Ouman que le Hasside déclara à ses coreligionnaires en difficulté : « Ne vous découragez pas ! Le désespoir n’existe pas ! » Pour lui, la foi commence là où la compréhension s’arrête.

Contrairement aux autres chefs spirituels hassidiques, Nahman de Bratslav n’a jamais désigné d’héritier, d’admor. Aujourd’hui, ses disciples sont divisés en une vingtaine de groupes ayant chacun leur vision et leur identité. Il n’existe plus de Comité organisateur mondial de Bratslav. Ce sont désormais des dizaines de petites associations qui agissent en toute indépendance pour tenter de financer leurs propres structures.

Avec la popularisation ces dernières années du mouvement Breslev, la ville d’Ouman a recouvré une nouvelle importance. Son nom est devenu célèbre grâce au regain d’intérêt pour le Rabbi. La tombe de ce dernier qui se trouve sur une colline verdoyante, s’est même transformée en lieu de pèlerinage pour les Juifs du monde entier, quelque soit leur tendance.

Lag Baomer ou Hanoukka donnent des occasions de se réjouir et de prier au côté de ce Sage, disparu il y a près de 200 ans. En tout, chaque année, près de 200.000 personnes viennent se recueillir sur la tombe du Rabbi.

Pour les ‘hassidiques Breslev’, le voyage de Roch Hachana à Ouman représente le point culminant de l’année. Ainsi, pour les fêtes de Tichri, notamment la nouvelle année juive, il est désormais de tradition pour les hommes principalement, de quitter foyer, femme et enfants afin de célébrer Roch Hashana sur la tombe du Rabbi. A cette occasion, des voyages de groupes sont organisés. Certains n’hésitent pas à engager des frais importants pour s’acquitter de ce pèlerinage. En effet, il en coûte de 700 à 1.000 dollars pour acheter un billet d’avion à destination de l’Ukraine et dormir durant une semaine sous des tentes de fortune ou dans de minuscules chambres de quinze personnes louées à des prix prohibitifs. Cet afflux massif de Juifs dans la petite bourgade paisible d’Ouman développe des besoins sécuritaires particuliers assurés par la communauté juive d’une part et par les autorités ukrainiennes d’autre part. Il y a encore une quinzaine d’années, certains pèlerins pouvaient constater quelques conflits avec la population locale, une attitude répressive de la part des services de police. Mais plus maintenant. Les relations entre Juifs et Ukrainiens semblent s’être apaisées.

En ce début d’année, près de 20.000 personnes, laïcs ou religieux, séfarades ou ashkénazes, israéliens ou autres, sionistes ou non-sionistes, riches ou pauvres, jeunes ou vieux, tous pèlerins confondus, vêtus de blanc, vont méditer au bord du lac d’Ouman. Ils y célèbrent la cérémonie du tashlikh pour se laver de leurs péchés et s’y baignent au lendemain de Roch Hashana.

La grande synagogue reconstruite voici une douzaine d’années et les huit bains rituels rénovés fonctionnent vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Les fidèles récitent ensemble le Tikkun Klali, une liturgie de dix psaumes écrits par Rabbi Nahman. Les pèlerins entonnent ensuite la prière finale Aveinou Malkeinou [Notre Père, notre Roi] et demandent que leurs fautes leur soient pardonnées.

Selon le Sage de Breslev, en accomplissant ces prescriptions, il promet aux Juifs de les sauver des ténèbres. Rabbi Nahman s’est engagé à œuvrer pour la Délivrance du peuple jusqu’à l’arrivée du Messie qui révèlera alors ses écrits secrets.

Selon la formule de Rabbi Nahman : “la paix consiste essentiellement à faire se rejoindre les opposés”. Ainsi, une grande tolérance et une sensation de liberté hors des conventions sociales règnent à Ouman entre les différentes tendances et communautés juives qui s’y rassemblent.

Les laïcs disent venir vivre “une expérience culturelle”, les hassidim rendre hommage à leur Rabbi, les religieux souhaiter que leurs vœux se réalisent. Tous espèrent se rapprocher de dieu.

Depuis plusieurs années en effet, Moshé Rozen, un français d’obédience Braslav vivant en Israël, a remarqué ce rapide phénomène grandissant. Il confirme cet engouement pour le Rabbi. Lui-même vit cette expérience depuis une quinzaine d’années. Il voyage régulièrement à Ouman, 3 à 4 fois par an. En tout, il s’y est rendu plus d’une vingtaines de fois. Etudier Rabi Nahman l’a rapproché de lui dans sa recherche personnelle au sens large et dans celle plus ciblée du judaïsme. Au fil du temps, le pèlerinage à Ouman est devenu une sorte de nécessité spirituelle et matérielle, un besoin d’avancer, de se perfectionner. En réalisant les prescriptions du Rabi, Moshé met en pratique fermement sa foi. Ce voyage l’enrichit par rapport à l‘enseignement du Rabbi de Breslev. Il sent également sa présence plus forte. C’est comme une rencontre maître/élève. Se rendre sur la tombe du sage représente un accomplissement de la personne au plus profond, un développement de soi très fort. Chacun vit quelque chose de particulier, de personnel.

Ce périple apporte à Moshé Rozen beaucoup de satisfactions. C’est pourquoi, malgré la difficulté de laisser femme et enfants, après concertation et accord mutuel, Moshé Rozen part pour le Nouvel An à Ouman, loin de sa famille. A Rosh Hashana, toute la vie de l’être se fait, se forme, se dessine, se décide. Cette date annonce la réparation du monde. Ainsi, chaque chef de famille envoie un représentant à Ouman pour vivre cette expérience très profonde et demander des bénédictions, des faveurs. Au retour, la joie est immense. Elle compense le manque lors de la fête passée loin de la maison. Pour Moshé Rozen, le pèlerinage aide beaucoup son couple, ses enfants.

Selon Moshé Rozen, le langage du Rabi est proche de celui de la génération actuelle. C’est un langage contemporain pour tout le monde, proche des personnes, de leur imagination. Il renforce les Juifs vers la Torah.

Ces retrouvailles massives brisent beaucoup de glace. A Ouman, tous les styles, tous les genres de pratique et toutes les classes sociales se retrouvent, se mélangent, se croisent, se parlent, communiquent. On peut y rencontrer des patrons de boîtes de nuit parisiens, des étudiants de Tel-Aviv, des hommes d’affaire de New-York, séfarades et ashkénazes. D’ailleurs, il semblerait que les minyanim séfarades soient devenus majoritaires maintenant.

Face à ce phénomène grandissant, en août dernier, le Rav Ovadia Yossef s’est offusqué : “Il y a ici [Israël] des sépultures de grands tsadikim de notre peuple, de saints Tannaïm dont le plus modeste parvenait à ressusciter les morts. Voilà que l’on laisse ces justes et que l’on s’en va à Ouman”. Pour l’ancien Grand rabbin séfarade d’Israël, il est préférable pour tout bon juif de rester avec sa famille pour la nouvelle année.

D’ailleurs, l’étendue du mouvement vers l’Ukraine a déclenché en 2007 une polémique : faut-il ramener la tombe du Rabbi de Breslev en Israël ? Devant l’opposition de l’Ukraine (ces pèlerinages sont une vraie mine d’or pour la région) ainsi que devant les difficultés techniques et religieuses, cette option a finalement été abandonnée, pour l’instant.

Quoi qu’il en soit, cette année encore, des milliers de Juifs se rendront pour Rosh Hashana sur la tombe du Rabi de Breslev afin d’y prier, de faire l’aumône et de réciter des psaumes. C’est peut-être la prophétie qui s’accomplit…

 

Noémie Grynberg 2008