Relation Israel – Cuba : de la fraternité à la haine

Plus d’un demi-siècle de relations unit La Havane et Jérusalem. Pourtant, les liens étroits du début se sont très nettement distendus sous la pression des groupes révolutionnaires radicaux des années 70. Si la diplomatie bilatérale a longtemps été suspendue, les échanges économiques, eux, ont perduré. Aujourd’hui, les rapports entre Israel et Cuba semblent à nouveau senormaliser.

En 1959, à la prise de pouvoir de Fidèle Castro, Cuba reconnait officielle Israël et établit avec le jeune Etat juif des relations diplomatiques. Les liens se développent même dans un esprit de confiance. Les deux pays entretiennent des échanges harmonieux, basés sur une coopération bilatérale étroite dans divers domaines, notamment économique. La production de poulets et d’agrumes s’accroit grâce au travail des ingénieurs agronomes israéliens, dont beaucoup viennent des kibboutz, envoyés dans l’île par l’Association d’amitié Israël-Cuba, créée en 1964. A l’époque, les deux partenaires, d’orientation socialo-communiste, partagent le sentiment d’être en « état de siège » et une volonté déterminée de peser sur le destin du monde malgré leur petite taille et leur faible population.

L’idylle dure jusqu’en 1967. Lors de la guerre des Six Jours, Fidèle Castro déclare : « Les vrais révolutionnaires ne menacent jamais d’exterminer un pays entier – en l’occurrence l’État d’Israël. » L’armée et les Services secrets cubains vouent une grande admiration pour le Mossad et Tsahal, suite à leur victoire éclair. Pourtant, peu de temps après, la position castriste commence à évoluer dans un sens hostile à Israël. Cuba condamne l’Etat juif pour la première fois à l’ONU. Le principal porte-parole du régime de l’époque, Ricardo Alarcon, alors Ambassadeur permanent aux Nations Unies, dénonce « l’agression armée contre les peuples arabes … par un plus perfide… l’attaque surprise à la manière nazie ». En fait, La Havane hésite entre la position des généraux de l’armée, plutôt favorables à Israël, et les forces révolutionnaires qui poussent à la rupture des relations diplomatiques avec l’Etat juif, ainsi qu’à un engagement croissant aux côtés des pays arabes. Malgré son admiration initiale, Fidel Castro finit par combattre le sionisme, notamment par la propagande antisémite et l’action militaire. L’implication de Cuba dans la lutte anti-israélienne et pro-palestinienne, ainsi que dans le soutien au terrorisme mondial s’intensifie.

Ainsi, lors de la guerre d’usure (1967-1973), la république insulaire envoie des troupes pour combattre contre Israël. De même pendant la guerre du Kippour en 1973, Cuba rejoint les forces expéditionnaires.

À partir de cette date, La Havane officialise son soutien aux mouvements palestiniens. Elle coupe ses relations diplomatiques officielles avec Jérusalem. Cependant, plusieurs dizaines d’Israéliens continuent à entretenir des affaires à Cuba, par exemple dans la création de plusieurs grandes entreprises agricoles et de construction.

Désormais, l’île des Caraïbes n’a de cesse de condamner Israël dans tous les forums internationaux, parrainant la résolution « Sionisme = racisme », présentée à l’Assemblée générale des Nations Unies en 1975. L’année suivante, La Havane traite le sauvetage israélien des otages détournés à l’aéroport d’Entebbe de « violation criminelle de la souveraineté de l’Ouganda, compatible avec les politiques racistes d’Israël ».

En mai 1977, Cuba s’illustre encore en se montrant le seul pays non-arabe du Conseil économique et social des Nations Unies à demander que la résolution « Sionisme = racisme » soit incluse à l’ordre du jour d’une conférence mondiale parrainée par l’ONU. En octobre 1979, Castro accuse même l’Etat hébreu de génocide envers les Palestiniens, « semblable à celui que les nazis ont perpétré contre les Juifs », selon ses termes. À Cuba, les journaux présentent souvent des caricatures juxtaposant étoile de David et croix gammée nazie.

Ce qui n’empêche pas le gouvernement israélien d’alors de réaliser d’importants investissements dans l’île, notamment dans le secteur touristique et de tenter de faire émigrer en Israël la petite communauté juive locale. Les autorités israéliennes organisent, à intervalles réguliers, en vertu d’un accord secret avec les autorités castristes, le départ des Juifs insulaires vers Eilat.

En 1993, après la signature des Accords d’Oslo, La Havane envisage un changement possible dans les relations avec Israël. Il faut attendre fin 2010 pour que Fidel Castro qui ne remplit plus ses fonctions à la tête de l’état cubain, déclare qu’Israël a un « droit d’exister ». Ce qui représente un changement de politique de son régime. Mais le réchauffement n’est que de courte durée. Lors de l’opération militaire israélienne fin juillet 2014 contre le Hamas, Cuba exprime à nouveau sa « plus énergique condamnation de la nouvelle agression d’Israël contre la population de la bande deGaza » et appelle la communauté internationale à « exiger qu’il y soit mis fin immédiatement ». Confirmant « sa solidarité inébranlable avec lepeuple palestinien », La Havane enjoint « la levée du blocus de la bande de Gaza, le rétablissement des services médicaux, de l’approvisionnement en eau et en électricité, afin de préserver la vie de centaines de milliers d’innocents », selon un communiqué du ministère cubain des Affaires étrangères.

Pourtant, fin 2014, dans la lignée des États-Unis, Israël prévoit d’abandonner sa politique anti-cubaine. Est-ce pour autant la reprise des relations ?

En tout cas, malgré les rapports houleux, les échanges d’Israël avec Cuba n’ont jamais vraiment été interrompus, même si le montant des transactions est resté marginal. Depuis 1993, le tourisme bilatéral a repris. En 2013, le commerce bilatéral s’est monté à 24 millions de dollars : 22 millions de fournitures israéliennes à La Havane, principalement des produits chimiques (engrais, insecticides) et des tuyaux d’arrosage – et 2 millions d’importations israéliennes de tabac de Cuba.

Noémie Grynberg / Israel Magazine 2015