Kurdistan, nouvel acteur clé du Moyen-Orient

Kurdistan

Avec plus de 500.000 km2, le Kurdistan se répartit principalement entre la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie. Seuls deux de ces quatre pays reconnaissent officiellement une partie de son existence : l’Iran avec sa province du Kordestan et l’Irak avec sa région autonome du Kurdistan. Partagée entre ces différents Etats, ce territoire divisé se voit l’otage des enjeux politiques et des conflits d’intérêts stratégiques de la région.

Ethniquement, la population kurde majoritairement musulmane sunnite et soufiste se compose de sémites, de turcs et d’arméniens. Forts de 25 à 37 millions d’individus, les Kurdes dont une minorité Alawite, se trouvent essentiellement en Turquie (46 à 54%). Mais la Constitution d’Ankara ne reconnait ni leur existence en tant que peuple, ni leur culture. En Iran, la seconde plus importante population kurde (24%), principalement chiite, reste surveillée par l’armée. Quant à la région autonome du Kurdistan irakien, rassemblant 18 à 20% des Kurdes, également chiites, elle se compose de 3 provinces. Son parlement administre tous les domaines, même politiques, sauf ceux de la Défense Nationale et des Affaires Étrangères. Pourtant, en 2010, le gouvernement kurde d’Irak entre en litige avec le pouvoir central de Bagdad sur deux questions principales : la revendication foncière autour de la ville pétrolière de Kirkuk, et la répartition des recettes provenant des réserves énergétiques de la région. Enfin la partie syrienne du Kurdistan comptant 7 à 11% des Kurdes, était maintenue jusqu’à ces dernières semaines sous le contrôle de l’armée baasiste.

Sans Etat indépendant, les Kurdes forment donc une minorité nationale dans chacun des principaux pays où ils demeurent. Une diaspora est également présente dans une moindre mesure en Arménie, en Azerbaïdjan, au Turkménistan, en Géorgie, en Afghanistan, au Liban et même en Israël. Malheureusement, la division interne des clans qui a causé la partition du Kurdistan restent plus grandes que l’union.

Un peuple sans souveraineté

Les Kurdes constituent aujourd’hui le plus important groupe national sans pays propre. Ils se battent depuis des décennies pour obtenir une indépendance légale ou au moins, une autonomie et des droits culturels dans les contrées où ils vivent.

Leur mouvement ethno-national émerge après la Première guerre mondiale, avec la fin de l’empire ottoman. En 1920, le Traité de Sèvre recommande la création d’un Etat autonome au Kurdistan. Mais dès 1921, la France annexe la province kurde de Jazira et de Kurd-Dagh à la Syrie sous son mandat. En 1923, le Traité de Lausanne suspend la demande kurde, accordant la majorité du Kurdistan à la Turquie. En 1925, la province de Mosul, riche en pétrole, est rattachée à l’Irak, avec le consentement de la Société des Nations. Enfin les Britanniques promettent la souveraineté du Kurdistan irakien à l’indépendance de l’Irak. Mais en 1932, l’engagement n’est pas tenu, ni par les Britanniques, ni par les Irakiens nouvellement affranchis.

Israël et les Kurdes

La relation étroite entre Israël et les Kurdes remonte aux années 1950. Depuis son indépendance, l’Etat hébreu reste un modèle pour ce peuple qui espère parvenir à la reconnaissance de son pays.

Par ailleurs, Israéliens et Kurdes partagent un intérêt commun : la recherche d’alliance régionale avec des nations non arabes.

Militairement, dès 1963, une coopération entre Israël et les Kurdes s’installe. En 1967, le patriarche kurde Mullah Mustapha Barzani vient d’ailleurs à Jérusalem consulter Moshé Dayan, Ministre de la Défense.

D’officieuse, les relations kurdo-israéliennes deviennent officielles en 1980. Cependant, durant des décennies, l’Etat juif se montre réticent à soutenir les demandes kurdes d’indépendance par peur de vexer le gouvernement turc avec qui il entretient des liens diplomatiques et économiques. Mais lorsqu’Ankara devient clairement hostile voire agressif envers Israël, l’Etat hébreu aide alors matériellement les groupes d’opposants kurdes. Des instructeurs israéliens équipent et forment militairement les élites anti-terroristes du Kurdistan irakien, à la fois contre la Turquie et contre l’Iran. De plus, actuellement Damas se rapprocherait de Jérusalem pour soutenir le nationalisme kurde contre le pouvoir d’Ankara. Tous deux verraient avec intérêt la création d’un foyer national kurde autonome qui se constituerait forcément au détriment de la Turquie et de l’Iran. Au niveau stratégique donc, l’autonomie de cette enclave serait positive pour Israël. L’espoir d’un Etat non arabe indépendant disposant de réserves de pétrole, tendrait à devenir un allié de l’Etat hébreu. D’ailleurs, des partenariats d’affaires entre sociétés israéliennes et gouvernement kurde d’Irak se développent dans les domaines économiques et sécuritaires. Les ventes d’équipements israéliens vers le nord de l’Irak comprennent : motocyclettes, tracteurs, gilets pare-balles, matériel d’urgence. Mais les Kurdes insistent pour que ces échanges restent secrets, craignant des représailles de groupes terroristes.

En outre, depuis début 2012, Israël rechercherait à partir du Kurdistan irakien des renseignements sur les centrales nucléaires iraniennes.

Actuellement, avec la recrudescence du désordre politique en Irak, le déclenchement de la révolte syrienne et la possibilité d’une action internationale concertée contre les installations nucléaires iraniennes, comprendre les rapides changements du Kurdistan devient crucial. Pour Israël, les contacts diplomatiques en-dehors des seuls Etats-nations du Moyen-Orient restent un enjeu stratégique et politique. Aussi, le Kurdistan s’avère-t-il un point clé de l’Asie de l’Ouest en proie à de nombreuses mutations. Aujourd’hui, dans le processus d’autonomie régionale, il est possible qu’une petite entité kurde limitée à l’Irak devienne indépendante, alors qu’une auto-détermination pourrait se dessiner dans le cadre d’un nouvel Etat fédéral syrien. Ce développement géopolitique pourrait se révéler capital pour l’avenir d’Israël.

Noémie Grynberg / Israel Magazine 2012