Les signes religieux à l’école : un problème essentiellement français ?

Signes

La question des insignes religieux à l’école renvoie au problème de la laïcité et des relations religion/Etat. Suivant le modèle adopté par chaquepays, la réponse diffère. Ainsi, ce qui pose difficulté pour un type de société ne se pose pas forcément pour un autre.

La France, pays d’accueil et d’immigration, a depuis longtemps intégré des populations diverses. Jusqu’à la fin du 20e siècle, celles-ci se pliaient aux fondements républicains de laïcité sans tergiversation. Pour les communautés qui désiraient préserver une éducation religieuse, contrairement à l’enseignement républicain laïc, l’Etat a mis en place un système d’écoles confessionnelles privées, sous contrat ou pas. C’est le cas pour les Juifs, les catholiques pratiquants, les théosophes, etc. Or voilà depuis quelques décennies qu’une minorité d’immigrés demandent que les règles nationales soient changées en leur faveur, c’est-à-dire que l’espace public ne soit plus « neutre » mais permette l’affichage de l’appartenance cultuelle. Une première dans l’Hexagone.

Comment se fait-il effectivement qu’en France, contrairement à de nombreux autres pays occidentaux, le port de signes religieux fasse polémique ? En Grande Bretagne, en Allemagne, au Canada ou aux Etats-Unis, un tel cas n’éveille pas de tel débat. Au contraire, il fait partie intégrante des valeurs de ces sociétés. Pourquoi ? Parce que ces pays se basent sur un modèle multiculturel, à savoir  qu’ils reconnaissent tous les groupes culturels/religieux, avec quelques nuances néanmoins. Aux Etats-Unis par exemple, religion et Etat sont séparés : les institutions du pays se veulent laïques mais la société américaine reste plutôt croyante, toutes fois confondues. La liberté de culte y est une valeur fondamentale. Par contre en Grande Bretagne et au Canada, la Reine incarne le chef suprême de l’Eglise anglicane, donc pas de séparation Eglise/Etat mais une liberté culturelle/cultuelle complète pour toutes les minorités. En Allemagne et en Italie existe une Eglise officielle avec un statut préférentiel, malgré cela, les autres religions sont reconnues et respectées.

En Israel, par contre, il n’y a pas de séparation religion/Etat. Le Rabbinat fait partie des institutions et joue un rôle politique. Le judaïsme est la religion officielle du pays mais les autres cultes et communautés jouissent de libertés.

Le cas de la France se montre différent. La séparation religion/Etat y est radicale depuis la loi de 1905. De plus, la République se veut une et indivisible, donc égalitaire. Pas de place pour les groupes ethniques. Non seulement les institutions son laïques mais également l’espace commun, contrairement aux sociétés multiculturelles qui permettent l’affichage de l’identité ethnico-culturelle ou religieuse en public. En France, pour assurer l’égalité de tous aux yeux de la République qui ne différencie pas ses enfants, l’espace partagé se définit donc comme neutre, c’est-à-dire absent de signes d’appartenance. La liberté individuelle assurée par les institutions républicaines se vit au sein de la sphère intime tant qu’elles ne contreviennent pas à l’ordre public, à la sécurité de l’Etat ou au respect des principes démocratiques.

Le combat entre les tenants de la laïcité pure et dure et ceux du multiculturalisme relève du domaine philosophique autant que du politique. Pour les premiers, le principe d’égalité absolue entre tous les citoyens ne peut s’incarner que dans une neutralité stricte. D’où l’exigence du respect de la laïcité. Pour les seconds, le respect de la liberté de chacun comme droit fondamental prime sur l’égalité. Les multi-culturalistes prétendent qu’un individu ne peut changer d’identité chaque fois qu’il passe du public au privé et muer de l’être ethno-social issu d’une culture particulière au citoyen neutre. On ne peut le dépouiller de sa consubstantialité sous prétexte de laïcité. De plus, les multi-culturalistes remettent en cause la notion de « neutralité ». En effet, si la sphère commune est définie comme telle, elle doit l’être totalement, à savoir dépourvue de tout signe culturo-religieux quel qu’il soit. Or, il s’avère dans les faits que la France qui se dit laïque, affiche à Noel des sapins, des crèches, des pères Noel ; à Pâques des œufs, des cloches suivant la tradition catholique. Les jours officiels fériés comptent aussi des fêtes religieuses : la Toussaint, l’Ascension, la Pentecôte, etc. L’espace public n’est donc pas « neutre » mais reflète la culture dominante partagée par la majorité. Tout ce qui en dénote se voit considéré comme atteinte à la « neutralité ».

Surfant sur cette opposition idéologique, les minorités ethnico-religieuses en ont profité pour affirmer leurs revendications particularistes, comme un droit. Or d’après la vision radicale, il n’existe de droits que ceux égaux pour tous. Pour la libérale, le droit des minorités est reconnu et respecté mais pour les individus. Et selon le multiculturalisme, il existe bien des droits spécifiques aux minorités en tant que collectif.

En France, contrairement aux autres pays cités, la dissonance vient du fait que des groupes ethnoculturels, non reconnus en tant que tels par la République laïque, demandent des droits appartenant au modèle multiculturel dans une société qui se veut égalitaire et unitaire, principes issus de la Révolution française qui ont fondé la Nation. Cependant, une des caractéristiques de la société moderne se trouve dans l’identité multiple, trans et/ou supranationale. L’unité du peuple héritée des Jacobins a volé en éclats au milieu du 20e siècle avec les vagues de migrations sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Aussi, l’ancien creuset, symbole d’intégration contre le repli identitaire, semble ne pas résister à la poussée des nouvelles données sociodémographiques. D’une société unificatrice, la France est passée de facto à une société multiculturelle, modèle qui lui était jusqu’à récemment totalement étranger et en contradiction avec ses valeurs.


Noémie Grynberg / Israel Magazine 2015