Nouvelle diplomatie palestinienne : la ‘’stratégie du Kosovo’’

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En décembre dernier, Mahmoud Abbas annonçait que les Palestiniens ne reprendraient pas les pourparlers de paix avec Israël tant que la communauté internationale ne reconnaîtrait pas les ‘’frontières de 1967’’ comme étant celle de l’Etat palestinien. Quelle stratégie cachent en fait ces nouvelles pré-conditions ?

Selon l’analyste Dan Diker, Directeur de l’Institut des Affaires Contemporaines de Jérusalem, les nouvelles pré-conditions de Mahmoud Abbas laissent penser que l’AP a abandonné le champ des négociations au profit d’une politique unilatérale. Sur quoi se base cette supposition ?

Il existe un précédent en diplomatie internationale. Le cas du Kosovo déclarant unilatéralement son indépendance en 2008 a servi d’exemple aux Palestiniens. Cette ancienne province de Serbie à majorité musulmane a en effet autoproclamé sa souveraineté avec le soutien d’une partie de l’Europe et des Etats-Unis bien que cette nouvelle république ne soit reconnue ni par l’ONU, ni par l’ensemble des pays de l’UE. Cette décision unilatérale a cependant engendré parmi les nations la crainte de légitimer d’autres volontés séparatistes semblables car la conjoncture politique de l’époque l’a emporté sur le droit international.

Ce précédent a conduit le leadership palestinien à décider que les conditions géopolitiques étaient maintenant mûres pour obtenir le soutien international à sa déclaration unilatérale d’Etat indépendant. Bien que les contextes historiques et légaux soient différents, les Palestiniens se présentent comme les Kosovars assiégés aspirant à la liberté et à l’indépendance, Israël étant associé à la brutalité serbe.

Alors que légalement les Palestiniens sont tenus de négocier une solution bilatérale avec Israël, politiquement, le leadership palestinien estime qu’adopter une stratégie unilatérale et chercher la légitimité internationale pour imposer les frontières de 1967 reste sa meilleure option. Dans cette vision, le problème des implantations juives de Judée Samarie et du statut de Jérusalem serait automatiquement résolu sans avoir à négocier avec Israël. Sans besoin de compromis territorial, cette optique engloberait simplement les parties juives de cette région dans le futur Etat palestinien en tant que minorité ethnique.

La ‘’stratégie du Kosovo’’ ne s’arrête pas qu’à des questions territoriales. Elle comprend également une phase cachée moins ‘’politiquement correcte’’ : une "Intifada politique" d’envergure mondiale contre Israël par le biais de pétitions, de rapports faussés et de harcèlements diplomatiques. Cette campagne de délégitimisation diabolise l’Etat hébreu afin de l’isoler sur la scène internationale comme un pays paria, visant de plus à creuser un fossé entre Israël et les Etats-Unis, alliés de longue date. L’initiative palestinienne a aussi pour but de transformer l’AP en principal meneur des négociations.

Pourquoi Abou Mazen semble-t-il si pressé d’appliquer la nouvelle ‘’stratégie du Kosovo’’ ? Sa crainte face à une possible prise de pouvoir du Hamas, son concurrent, en Judée Samarie, le conforte dans sa volonté de déclarer rapidement l’indépendance palestinienne dans cette région. En effet, le divorce entre le Hamas à Gaza et le Fatah en Judée Samarie semble irrévocable.

Même si les Palestiniens obtenaient la reconnaissance de leur souveraineté d’après le tracé de 1967, le combat ne s’arrêterait pas là. En effet, la Déclaration d’Indépendance unilatérale de l’OLP initiée en son temps par feu Yasser Arafat, adoptée en 1988 et reconnue par 104 pays, est basée sur la résolution 181 de l’Assemblée Générale de l’ONU reconnaissant non pas les frontières de 1967 mais celles de la partition de la Palestine de 1947, incluant Jérusalem-Est, la Vieille Ville et le mont du Temple dans l’Etat palestinien ! Selon Dan Diker, loin de mettre un terme aux décennies du conflit israélo-palestinien, la ‘’stratégie du Kosovo’’ achèverait au contraire de défaire le processus de paix au Moyen-Orient.

Quoi qu’il en soit, du point de vue légal, les Palestiniens doivent recevoir l’accord israélien pour tout arrangement final du statut de leurs futures frontières comme le précise la résolution 242 du Conseil de Sécurité de l’ONU et comme convenu dans le Feuille de Route de 2002. Et s’il prenait à Ramallah de déclarer quand même unilatéralement son indépendance, cela violerait les précédents accords signés à Oslo.

Cependant, le blocage des pourparlers bilatéraux semble donner raison aux Palestiniens sur la scène internationale quant à leur velléité de souveraineté unilatérale. Mais jusqu’à présent, leurs tentatives de déclaration ont été repoussées par les Européens et par les Etats-Unis.

Cette idée d’indépendance unilatérale n’est pas née ex-nihilo. C’est en fait le Secrétaire général du Conseil de l’Union européenne chargé de la diplomatie et de la sécurité, Javier Solana, qui en aurait la paternité. En juillet 2009, ce dernier a suggéré de fixer une échéance pour la reconnaissance automatique de la Palestine par l’ONU au-delà d’une certaine date limite. Israël s’est bien sûr opposé à cette option. Les Européens après avoir réagi plutôt favorablement, se sont finalement ravisés. La Suède quant à elle, au terme de sa présidence européenne a proposé en décembre dernier que la diplomatie de l’Union approuve la reconnaissance de Jérusalem Est comme capitale du futur Etat palestinien, ce qui implique une acceptation tacite du plan unilatéral palestinien.

Concrètement cependant, il existe un abîme entre les aspirations palestiniennes et leurs réelles performances sur le terrain. En tant que prétendante à un futur Etat indépendant, l’AP n’a toujours pas réussi à mettre sur pied des réformes électorales ni le vote prévu ce début d’année, à lutter efficacement contre la corruption ou à combattre le chômage. Pour l’instant la ruée du leadership palestinien à agir de facto comme un Etat constitué a plutôt échoué, même au niveau administratif le plus basique.

Finalement, assisterons-nous à la ‘’balkanisation’’ de la ‘’Palestine’’ ?


Noémie Grynberg/Israel Magazine 2010