Succession en Arabie Saoudite : risques et enjeux stratégiques

Arabie

Instabilité, éclatement, régression ou transition en douceur au pays de l’or noir ? Les problèmes de santé du roi Abdallah d’Arabie Saoudite ont relancé la question de la succession dans le royaume, premier producteur et exportateur mondial de pétrole. L’heure de la relève a-t-elle sonné ?

Alors qu’en novembre dernier, le roi Abdallah d’Arabie Saoudite âgé de 86 ans, s’est fait soigner aux Etats-Unis, les tractations pour sa succession donne d’ores et déjà lieu à d’âpres intrigues dans les cours des palais. Pourtant, dès son accession au trône en 2005, suite à l’attaque cérébrale qui avait frappé son demi-frère le roi Fahd, Abdallah avait anticipé la question en créant le Conseil de l’allégeance chargé de choisir le prochain souverain mais pas obligatoirement le prince héritier désigné par le roi défunt. Ainsi, en tentant de limiter les tensions au sein de la famille et de préparer le relais de la succession, le Conseil de l’allégeance l’a officiellement ouverte à la deuxième génération, celle des petits-fils d’Ibn Saoud, le fondateur de l’Arabie moderne. En fait, ce conseil qui comprend 35 membres ne s’est encore jamais réuni. En effet, depuis la mort d’Ibn Saoud en 1953, la succession passe de frère en frère mais avec le temps, les cercles dirigeants ont vieilli.

Pour l’heure, le roi Abdallah a donné provisoirement l’autorité "d’administrer les affaires de la nation" au prince héritier Sultan ben Abdel Aziz, son demi-frère et successeur au trône. Or celui-ci, âgé de 85 ans, est lui aussi malade. Parallèlement, le roi Abdallah envisagerait de marier un de ses fils avec une fille de son demi-frère afin de conclure une alliance de sang.

Alors instabilité en vue ou transition en douceur ? Jusqu’à présent, le relai s’est presque toujours passé dans le calme. L’Arabie Saoudite a rarement connu l’instabilité lors des successions royales.

Un casse-tête successoral

Les membres de la famille royale d’Arabie saoudite et ses affiliés constituent une oligarchie opaque comptant 20.000 personnes contrôlant 25 millions de sujets.

Parmi les potentiels successeurs figurent 4 prétendants principaux : le prince Mitab (un des fils du roi) qui dirige la garde nationale, le prince Khaled Ben Sultan (fils de l’actuel prince héritier) qui gère le contrôle des frontières et le nucléaire, enfin le prince Salman, gouverneur de Riyad. Mais le plus probable d’entre eux reste le prince Mohamed Ben Nayef, 77 ans, numéro trois du royaume (fils du prince Nayef, ministre de l’Intérieur et deuxième vice-premier ministre) qui a porté plusieurs coups durs à Al Qaeda dans le pays. Cependant, celui-ci est considéré comme encore plus conservateur que ses frères et connu pour son opposition aux timides réformes voulues par le roi Abdallah, notamment dans le domaine social et éducatif, suite aux attentats du 11 septembre.

Le danger de l’Iran

Depuis 2001, sous la pression des États-Unis, le roi Abdallah, nationaliste et conservateur, a opéré un retournement idéologique anti-intégriste certain, quoiqu’insuffisant, après avoir été le principal soutien de l’intégrisme dans le monde. La guerre contre l’Irak, en 2003, à laquelle il a passivement contribué, a fragilisé son pouvoir dans la mesure où elle y a favorisé la mainmise de l’Iran. En effet, le nouvel ennemi du Royaume wahhabite n’est plus tant Israël que la République Islamique, considérée comme le nouveau Satan à abattre. La détermination de Ryad à contenir Téhéran l’a donc contrainte à se doter d’une posture défensive d’intimidation, autrement dit à se renforcer face à l’Iran, bientôt puissance nucléaire, et non face à Israël. D’ailleurs, le plus gros contrat d’armement de l’Histoire conclu entre les Etats Unis et le pays de l’or noir pour un montant de 90 milliards de dollars, vise à «renforcer les capacités combatives du Royaume face à l’Iran» sans faire peser de risques sur l’Etat hébreu. C’est pourquoi aujourd’hui, l’enjeu de la succession saoudienne est d’une importance stratégique sur l’échiquier moyen-oriental car le pays y joue un rôle de premier plan dans la politique américaine régionale.

Les problèmes structurels

L’Arabie saoudite doit affronter les menaces d’un régime qui ne parvient ni à se réformer sérieusement, ni à entrer dans la socio-économie du 21e siècle. Les dangers sont imminents. Premièrement, le binôme sur lequel s’est constitué le Royaume (pétrole et wahhabisme) semble devoir se reconfigurer. Si l’Islam est assuré de pérennité, la guerre entre shiites et sunnites continue de faire rage. Quant au pétrole, son prochain tarissement ou dépérissement du fait des énergies de substitution, fragilise l’économie déficiente de l’Arabie basée sur une monoculture pétrolière à 91%.

Deuxièmement, le fossé générationnel se creuse de plus en plus entre l’équipe dirigeante comprenant un nombre important d’octogénaires et les 75% de la population âgée de moins de 25 ans.

Troisièmement, selon certains observateurs, un phénomène de morcellement national se serait installé dans le royaume wahhabite depuis le milieu des années 1990. Les tensions dues à la succession saoudienne pourraient accentuer les divisions au sein du pays et déboucher sur des fiefs autonomes répartis entre les différents princes de la famille royale, chacun cherchant à garder sa position et à y installer son propre héritier. Ce risque conduirait à terme à une fédération d’émirats. Le pouvoir fédéral unitaire ne serait alors que symbolique mais dépourvu de pouvoir exécutif. Cela poserait la question des ressources de l’Etat central disputées par chacun de ces émirats.

Pour l’heure, l’Arabie Saoudite reste un des régimes les plus rigides au monde, basé sur la discrimination à l’égard des femmes, des minorités ethniques et religieuses, le bafouage des droits de l’homme et l’absence totale de démocratie. Ainsi, la dynastie wahhabite risque de dépérir, à moins d’une remise en question de sa conception monolithique de l’Islam, de sa vision autoritaire de l’Etat et de ses rapports avec le reste du monde arabe.

Noémie Grynberg / Israel Magazine 2011