Depuis plus de 25 ans, le Brésil figurait dans le classement des pays émergeants mais semblait avoir bien du mal à… émerger. Violence, corruption, pauvreté, ces fléaux rongeaient l’Etat. Les options économiques et sociales de développement ne paraissaient pas donner leurs fruits et leurs retombées se faisaient attendre. Jusqu’à l’arrivée au pouvoir il y a 8 ans de l’ex Président Lula, un exclu de l’élite politique locale.
Le Brésil représente en taille la moitié du territoire de l’Amérique du sud et sa population compte plus de 195 millions d’habitants. Il fait partie des grands pays dits émergents qui affiche aujourd’hui une santé impressionnante et des indices de développement humain en hausse.
Le succès économique, bien qu’encore fragile, est réel : la croissance du Brésil est l’une des plus dynamique du monde avec un taux supérieur à 5% annuel. Comment ? Le Brésil ne plaide pourtant pas pour un modèle de développement alternatif au capitalisme, bien au contraire. Il applique dans le domaine économique une conception libérale, voire néolibérale.
Pourtant, l’initiateur de cet essor spectaculaire, l’ancien Président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, est un personnage simple, pragmatique, sans dogme idéologique politico-socio-économique. Il s’est plutôt révélé un homme de terrain, un homme du peuple qui connait les problèmes de son pays de l’intérieur pour les avoir vécus et traversés lui-même. Ce militant de gauche, ouvrier métallurgiste à 14 ans, devenu leader syndical et fondateur du Parti des Travailleurs (PT), est élu à la tête de l’Etat fédéral pour la première fois en 2002. Bien que de gauche, Lula fait cependant passer la stabilité macroéconomique et les intérêts du capital financier avant les réformes sociales. Se pliant à l’orthodoxie budgétaire stricte mise en place par son prédécesseur, il assainit les finances publiques. Lula régule et encadre l’activité des banques, et adopte une politique plus keynésienne à savoir une politique de stabilisation activement menée par les pouvoirs publics, une augmentation des dépenses du secteur public et une réduction d’impôt stimulant la demande et sortant les secteurs de la production et de l’emploi de leur récession. Cette politique de stabilisation sert non seulement à prévenir des déclins économiques prolongés mais aussi à freiner les poussées inflationnistes et à promouvoir une forte croissance économique.
Ainsi, le Président brésilien met un point d’arrêt au cycle des privatisations, réaffirme très nettement le rôle de l’Etat dans le pilotage de l’économie, élargit les programmes de lutte contre la pauvreté ainsi que la liberté d’action des mouvements sociaux. Un an après sa réélection de 2006, Lula lance son méga plan d’accélération de la croissance (PAC). Le Brésil opte pour une pratique des taux d’intérêts très élevés, favorables aux capitaux spéculatifs internationaux. De plus, il diversifie ses échanges et encourage l’implantation de champions nationaux à l’étranger. Adepte d’une coopération sud-sud pour contrebalancer les puissances occidentales, Lula élargit et favorise des liens avec l’Asie, l’Afrique ou le monde arabe en plus de ses relations avec les pays développés. La Chine devient d’ailleurs l’un des principaux partenaires économiques du Brésil : le commerce entre les deux puissances augmente de plus de 750% en 8 ans.
Résultat : le puissant Etat latino-américain est aujourd’hui la huitième économie de la planète, juste derrière l’Espagne et l’une des plus performantes, au côté de l’Inde ou de la Chine.
Ainsi, les revenus des plus pauvres comme des plus riches ont augmentés de manière notable. Entre 2006 et 2007, le nombre de millionnaires a augmenté de 19%. Pour les moins nantis, plusieurs programmes sociaux assistancialistes de lutte contre la pauvreté (surtout durant le second mandat de Lula) ont tiré de l’extrême misère plus de 20 millions de Brésiliens (près de 10% des citoyens du pays) grâce à un plan d’aide financière conditionnée à la scolarisation des enfants. La couverture sociale a aussi été étendue ainsi que le niveau du salaire minimum. Le retour de la stabilité économique et de la croissance spectaculaire a de ce fait porté la classe moyenne à 50% de la population. Même si l’indice de développement humain reste encore en-dessous de celui des pays développés, il enregistre cependant un bon score au niveau de l’éducation avec un taux de 87% d’enfants scolarisés.
Ainsi, le programme de Lula a conjugué une macroéconomie néolibérale avec une politique sociale assistancialiste ciblée sur l’extrême pauvreté, ce qui a permis une certaine stabilisation du système par une gestion « socio-libérale à la brésilienne ». Le pays s’est mué un promoteur du G 20 et envisage depuis, un projet d’Union des nations sud-américaines, la plus vaste alliance économique, monétaire et politique du monde.
Cependant, il demeure quelques écueils majeurs. En effet, le Brésil s’est engagé dans une politique d’agrobusiness, comprenant la culture intensive d’OGM et d’agro-combustibles gourmande en eau. De plus, la réforme agraire attendue a été sacrifiée au profit de la croissance, dans la poursuite d’une politique économique davantage orientée vers les marchés financiers et favorable aux secteurs agro-exportateurs fluctuants.
Malgré tout, l’exemple spectaculaire du Brésil illustre parfaitement la théorie de la modernisation selon laquelle le développement économique et l’augmentation du PIB (produit intérieur brut) dépendent de l’orientation politique choisie et non uniquement des richesses naturelles ou des fonds internationaux perçus. Puisse-t-il servir de modèle aux pays arabes bien pourvus en matières premières mais dépourvus de volonté politique. Le Moyen-Orient aurait pourtant tout à gagner d’une économie de marché ouverte et libre, débouchant au final sur une transition démocratique c’est-à-dire une stabilité nécessaire à la paix. Le salut n’est peut-être pas tant dans la diplomatie que dans l’économie…