En France comme en Israël, l’augmentation constante du déficit de médecins dans le secteur public pose sérieusement le problème de la sélection, de la formation et des conditions de travail de la profession. Une situation préoccupante si un changement de politique n’est pas envisagé rapidement
En France, le papy boom a fait exploser les besoins en médecins. De plus, le nombre de praticiens en formation ayant été maintenu à des taux trop bas pendant des années, une pénurie bien visible en hôpitaux et à la campagne inquiète les pouvoirs publics. Bien que le nombre d’étudiants sélectionnés sur l’ensemble du pays soit passé de moins de 4000 à 8500, ce chiffre reste insuffisant face aux exigences de santé.
Déjà, de nombreux médecins étrangers s’installent dans l’Hexagone pour palier le manque de généralistes et de médecins de famille. Et la profession de généraliste s’est également beaucoup féminisée.
En Israël aussi, depuis 1995, chaque année compte un déficit de 200 praticiens dans le secteur public. Depuis 3 ans le nombre de candidats en médecine chute du fait des sections bondées, des horaires chargés (gardes, fatigue), du statut (fonctionnaire dépendant des caisses maladies/hôpitaux publiques) et des salaires bas. Les praticiens israéliens préfèrent s’expatrier ou travailler partiellement dans le privé, plus rentable financièrement. Ainsi, il y a pénurie en anesthésistes (carence de 300 d’ici 2015, 15% partent à l’étranger – principalement en Amérique du Nord), chirurgiens, neurologues, pédiatres, cardiologues.
En 2009, la prédiction se confirme : moins 8% de médecins par rapport à l’an 2000. La pénurie reste flagrante en anesthésistes mais aussi en urgentistes et néonatologues.
Un rapport du Ministère de la Santé prévoit que cette insuffisance s’aggravera jusqu’en 2020 si rien n’est envisagé d’ici là. Il préconise donc d’augmenter le nombre d’admissions en faculté de médecine de 400 actuellement par promotion à 600. Il est également question d’ouvrir en Galilée une cinquième école de médecine devant accueillir 150 nouveaux étudiants par promotion dès 2011.
Sélection des étudiants
En France et en Israël, les sections de médecine sont soumises à des quotas annuels, ce qui implique une sélection. Condition initiale identique dans les deux pays, les candidats doivent être titulaires d’un baccalauréat de préférence scientifique. Cependant, « en France, les non bacheliers peuvent se présenter en médecine munis d’un diplôme d’accès aux études universitaires ou d’un titre admis en dispense du baccalauréat » assure l’Ordre des Médecins.
Ensuite, suivant le pays, les conditions d’admission diffèrent. Alors qu’Israël opte pour une sélection drastique à l’entrée, la France préfère laisser l’accès libre quitte à éliminer par concours en cours de cursus (chaque fin d’année est sanctionnée par des examens). A l’issue de la première année, des épreuves de classement sont organisées en vue d’admettre en deuxième année un nombre limité d’étudiants, déterminé réglementairement chaque année par les pouvoirs publics. 80 % du concours reposent sur des questionnaires à choix multiple (QCM) et 20 % sur du rédactionnel pour ce qui concerne les sciences humaines et sociales. Les inscriptions en première année d’études médicales sont limitées à deux. Cette méthode n’est pas sans poser problème. En effet, non seulement elle coute cher à l’Etat mais en plus elle mobilise au départ des places pas forcément destinées aux plus aptes. « En France, ¾ des étudiants de 1e année redoublent pour pouvoir continuer » confie Simon, futur médecin. Ce que confirment les chiffres officiels.
Par contre, en Israël où la faculté de médecine est considérée comme l’une des plus prestigieuses, les conditions d’admission et d’inscription semblent relever du parcours du combattant. Du fait du très grand nombre de demandes, les modalités d’acceptation en médecine sont les plus difficiles de toutes les facultés universitaires. A cause du nombre de places limitées, sur des milliers de candidats seuls 400 sont reçus par promotion. La sélection sévère se fait en deux étapes. La première est basée sur la moyenne des notes du baccalauréat (110 points minimum avec une moyenne supérieure à 95% comprenant de préférence les options physique et chimie pour être dispensé de cours d’été, et de 5 unités en anglais et mathématique) et des résultats des psychométriques (750 points minimum). La seconde constitue un test de personnalité lors d’une entrevue. Ainsi, seuls les meilleurs sont choisis. Chaque université instaure ses propres standards d’admission (il peut donc exister des différences d’une faculté à l’autre) mais ils sont assez proches les uns des autres.
Une fois toutes ces exigences remplies, il reste à s’inscrire dans l’université choisie et à présenter le dossier d’admission.
La formation
En France, les études médicales sont régulièrement révisées afin de s’adapter constamment aux besoins de santé.
Il existe toutefois des différences entre la France et Israël. Alors que la première propose 44 facultés de médecine avec une inégalité entre celles de Paris et de province, Israël n’en compte que quatre : une à l’université de Tel-Aviv (la plus grande avec 120 à 180 étudiants), une au Tehnion de Haïfa (la plus prestigieuse), une à l’université de Beer-Sheva (la plus variée) et une à l’université Hébraïque de Jérusalem (la plus ancienne et la meilleure du pays, également classée parmi les 500 meilleures du monde).
La durée des études est moins longue en Israël qu’en France : 6 ou 7 ans (1 an préparatoire + 2 cycles de 3 ans) suivant les universités pour le premier contre minimum 8 ans et demi (3 cycles) pour la seconde. Dans les deux pays, le premier cycle comprend les études précliniques et le second, les études cliniques.
En Israël, le premier cycle intègre des cours obligatoires (psychologie, anatomie, chimie générale et physique, bioéthique, biologie cellulaire, histologie, immunologie, physiologie, bactériologie, virologie, introduction à la pharmacologie et à la pathologie, système nerveux et cardiaque) et des cours optionnels. Seuls les étudiants le plus brillants peuvent choisir de poursuivre un post-doctorat.
En France, la première année (PCEM1 – premier cycle des études de médecine) se compose d’enseignements théoriques comprenant notamment des modules de physique, de biophysique, de chimie et de biochimie, de biologie moléculaire et cellulaire, et un module de sciences humaines et sociales ainsi que d’enseignements dirigés et pratiques. L’assiduité des étudiants est obligatoire. « Le problème c’est que cette première année est emplie d’enseignements qui servent non pas à former des futurs médecins mais à éliminer le trop-plein de candidats. Bien que la première année soit ouverte à tous les bacheliers, on remarque que 95 % à 98% des étudiants qui réussissent le concours de fin de première année sont titulaires d’un baccalauréat scientifique » remarque un membre de l’Ordre national des médecins.
La deuxième et troisième année, les étudiants renforcent leurs connaissances en sciences fondamentales, abordent les disciplines biologiques, débutent la sémiologie clinique, les techniques d’imagerie médicale mais aussi des enseignements non médicaux complémentaires tels que les langues étrangères, l’informatique ou le droit. Ils commencent également leurs stages hospitaliers. De la quatrième à la sixième année (deuxième cycle), l’enseignement est consacré à la pathologie théorique (cardiologie, cancérologie, dermatologie, toxicologie, médecine d’urgence, médecine générale ou gérontologie) sous forme de séminaire, et pratique (thérapie et prévention) en milieu hospitalier ainsi qu’aux systèmes de santé, à l’évaluation des pratiques de soins, à la déontologie et de la responsabilité médicale. Les ‘’internes’’ intègrent les équipes soignantes.
« La fin de la 6e année est sanctionnée par un concours d’internat organisé par le Ministère de la Santé, donnant au futur praticien le choix de sa spécialisation. Seuls les médecins généralistes ne sont pas soumis à ce concours » précise le docteur Mimoun.
Enfin, le 3e cycle professionnalisant permet pendant encore 4 à 5 ans l’approfondissement de la spécialisation du médecin interne au sein des CHU (centre hospitalier universitaire) ou hôpitaux généraux. « Pour les généralistes, la pratique s’acquière pendant 2 ans et demi en hôpital et pendant 6 mois en cabinet. Ils affinent ainsi leurs gestes et techniques, les stratégies diagnostiques et thérapeutiques et les conditions de l’exercice professionnel » indique le docteur Rivlin.
D’autres filières facultatives existent parallèlement : recherche en biologie médicale, carrière hospitalo-universitaire, médecine aéronautique ou médecine de catastrophe.
Pour tous les étudiants, une thèse de fin d’étude leur confère le titre de docteur en médecine, reconnu par l’Ordre des médecins.
Les différentes réformes en France
– A la fin des années 70, l’harmonisation européenne des diplômes médicaux a poussé la France à créer une formation spécifique pour les omnipraticiens et une homogénéisation des cursus spécialisés.
– Jusqu’à 1982, la formation médicale comprenait 7 années d’étude générales conclues par une thèse. Les spécialisations s’obtenaient au bout de 2 à 4 ans supplémentaires. La loi du 31 décembre 1982 a instauré le concours national d’accès aux filières spécialisées.
– Avant 1984, le concours de spécialisation non obligatoire restait très élitiste : seul un étudiant sur 10 le réussissait. Depuis 1984, cet examen est devenu obligatoire.
– La réforme de 2001 a intégré dans les programmes de médecine des matières ‘’transversales’’ permettant une meilleure connaissance globale de l’individu.
– La modification de 2004 a gommé les différences entre filières spécialisées et généralistes. Les étudiants de fin de second cycle se voient dorénavant délivrer un diplôme leur permettant de se réorienter, le cas échéant, et d’accéder directement à un niveau DEA (Diplôme d’études approfondies) ou DESS (Diplôme d’Etudes Supérieures Spécialisées équivalent à un Master soit bac + 5). Les épreuves du concours de fin de 6e année s’adaptent désormais aux options choisies par les étudiants.
Mais aujourd’hui, suite à ces diverses réformes, les clivages entre médecine généraliste et spécialisée se sont accentués, renforçant la dualisation du corps médical.
La future école de médecine de Safed
Depuis 2005, plusieurs commissions pour l’enseignement supérieur tirent la sonnette d’alarme concernant le manque probable de praticiens pour les années à venir en Israël. Elles demandent entre autre l’augmentation du nombre de médecins formés par an pour endiguer la carence prévue due au vieillissement du personnel actuel et à la baisse d’immigrants médecins.
Bien que le feu vert gouvernemental pour la construction d’une cinquième école de médecine date d’il y a 6 ans, le projet est long à mettre en place. La région du Nord s’est énergiquement battue pour obtenir que la faculté dotée d’un institut de recherche et d’une cité universitaire soit implantée en Haute Galilée.
C’est finalement l’Université Bar Ilan qui vient de remporter l’appel d’offre pour la mise en chantier de cette nouvelle faculté de médecine au sud de Safed, face à son concurrent du Technion/Université de Haïfa. La gagnante propose 3 cursus qui attendent encore leur autorisation finale : un court de 4 ans pour les détenteurs d’une licence en sciences de la vie (biologie), un normal de 6 ans et un combiné avec post-doctorat. De plus, la future faculté proposera un programme de 3 ans destiné aux Israéliens partis faire leurs études de médecine à l’étranger. L’accent général de l’enseignement sera surtout mis sur la médecine clinique. La première promotion de 50 étudiants qui devait débuter en octobre 2010 est en fin de compte reportée d’un an, à octobre 2011. Elle accueillera pour commencer des étudiants israéliens ayant entamé leurs études de médecine hors du pays. Cette décision tente en effet d’inciter ceux partis étudier ailleurs de rentrer en Israël.
Le montant du projet avoisine 1,5 milliard de shekels réparti entre l’Etat et des donations privées. Mais malgré l’urgence nationale du plan, celui-ci avance en fait lentement faute d’argent. A cause de la crise bancaire mondiale de ces derniers mois, le projet trouve difficilement un financement. Le gouvernement israélien ne dégage pas non plus pour l’instant le budget nécessaire et attendu. Sylvain Chalom, Ministre chargé du Développement du Néguev et de la Galilée devrait à ce propos rencontrer le Ministre du budget Yuval Steinitz afin de débloquer la situation.
Un autre problème se pose. Les 4 hôpitaux de la région (Emek à Afula, Poria à Tibériade, Ziv à Safed et à Naharia) devront se répartir à chaque promotion, les futurs 100 étudiants médecins lors de leurs stages ce qui implique une modernisation de leurs infrastructures (nombre de lits, salles de cours et de conférences impliquant une facture de 50 millions de shekels) et l’embauche de personnel adéquat, notamment des chercheurs.
Malgré tout, l’hôpital Ziv de Safed se félicite de la future école de médecine. Cependant, bien que le docteur Ronit Gamzo, Directrice Générale du Ministère de la Santé s’en réjouisse aussi, elle rappelle que cette mesure reste insuffisante pour endiguer le manque crucial de médecins en Israël. Selon elle, il faudrait également augmenter le nombre d’admissions dans les facultés déjà existantes dans le pays.
Noémie Grynberg 2010