Victor III ou le mystère du Pape juif

Le mystère du Pape Victor III n’a jamais été complètement élucidé. Selon qu’il s’agisse de sources chrétiennes ou juives, les versions divergent.

Selon les historiens classiques, Victor III serait né vers 1026, d’une branche non régnante des ducs Benevento de Lombardie. Fils unique, son désir d’embrasser la vie monastique s’est vivement heurté à l’opposition de ses parents. Après la mort de son père en 1047, il fuit un mariage arrangé et finalement obtint la permission d’entrer au monastère où il fut baptisé Desiderius. Quelques années plus tard, Desiderius s’attacha à la cour de Victor II à Florence. En 1055, il retourna à sa communauté monacale. En 1059, il fut ordonné cardinal-prêtre.

Desiderius fut le plus grand des abbés de Monte Cassino. Il reconstruisit l’église et le couvent, fonda une école d’art et rétablit la discipline monastique de sorte que 200 moines vinrent s’établir dans le monastère.

Desiderius fut ensuite appointé comme vicaire papal par le Souverain Pontife, avec pour fonction de nommer évêques et abbés.

Assurément l’importance de Desiderius dans l’histoire papale repose sur l’influence qu’il exerça auprès des Normands en faveur du Saint-siège.

A cette époque, l’Italie était en proie à de nombreuses querelles, notamment entre Normands et Lombards, entre l’Empire byzantin et la Papauté. Durant ces longues années de conflit, Desiderius diplomate du Vatican, essaya sans relâche de rallier chaque partie au Saint-Siège. Finalement, la papauté remporta la victoire sur l’empire et les Normands s’installèrent dans le sud de l’Italie. Suite à la mort du pape Grégory VII, les cardinaux se réunirent pour élire son successeur. Desiderius fut choisi malgré ses réticences à exercer cette haute fonction . Il devint le Pape Victor III en 1086. Mais un an après, sous la pression du peuple qui se révolta, Victor III fut chassé de Rome. Il se retira à Monte Cassino, abandonnant son insigne papal. Ainsi s’acheva son très bref règne et peut-être même sa vie car personne ne sut jamais ce qu’il devint.

L’histoire chrétienne évoque le Pape Victor III comme un personnage bien moins important que Desiderius le grand abbé de Monte Cassino. Il semblerait  que ce fut sa santé fragile qui l’avait rendu réticent à accepter la lourde et prestigieuse charge qui lui avait été proposée. En effet, il paraîtrait que dès la première messe prononcée après sa consécration, il ait été pris de faiblesse.

Selon les sources juives, l’histoire du Pape Victor III est bien différente.

Il y a 900 ans environ, vivait à Mayence un érudit du nom de Rabbi Chimon Hagadol, connu pour sa piété, son érudition et ses poèmes religieux. Ce sage avait un fils nommé El Hanan qu’il éduquait dans l’amour et la foi du judaïsme.

A l’âge de 4 ans, El Hanan tomba gravement malade. Marguerite, la bonne chrétienne qui s’occupait de l’enfant qu’elle aimait beaucoup regrettait cependant qu’il fût juif. Elle nourrissait l’espoir secret qu’un jour elle en ferait un chrétien. Elle fit le vœu que si l’enfant guérissait, elle l’enlèverait pour le conduire au monastère où il grandirait en bon chrétien.

Rabbi Chimon jeûnait et priait pour le rétablissement de son fils bien-aimé. Pessah arriva. Lors du Seder, le miracle se produisit : la santé d’El Hanan s’améliora. Bien qu’encore faible, le garçon participa à la fête et posa les 4 questions traditionnelles.

Le lendemain, les parents se rendirent seuls à la synagogue, laissant l’enfant à la maison avec Marguerite. A leur retour, quelle ne fut pas leur stupéfaction : El Hanan et la bonne avaient disparus. Toutes les recherches pour les retrouver restèrent vaines.

Marguerite avait, comme promis, conduit l’enfant encore malade et affaibli par le voyage, au monastère où elle se dévoua pour le sauver. Cependant, El Hanan rechuta et perdit même la mémoire. Il oublia ainsi qu’il était Juif.

Un moine s’occupa de son éducation religieuse et le prépara à entrer dans les ordres du monastère. El Hanan fut baptisé sous le nom de Félix. Il se révéla très doué pour les études. Il fut alors envoyé à Rome pour y poursuivre des études supérieures. Il parvint de la sorte aux plus hautes charges ecclésiastiques. Le Pape Grégoire VII le nomma évêque puis cardinal et l’envoya souvent comme représentant du Vatican pour des missions diplomatiques.

Un an après la mort du Pape Grégoire VII, Félix fut élu pape et prit le nom de Victor III.

Mais une question ne cessait de le tourmenter lui qui croyait avoir été abandonné : qui étaient ses parents ? Devenu cardinal, il tenta d’enquêter auprès du monastère mais le complice de Marguerite, le seul qui eût pu le renseigner était mort. Alors Félix se résigna.

Un jour, Victor III reçu une demande d’audience privée de la part du rabbin de Mayance concernant un décret persécutant les Juifs en raison de leur appartenance religieuse. L’entrevue fut très cordiale et amicale. Le Pape promit au rabbin d’intercéder auprès de l’évêque local pour annuler ce décret. Les deux hommes en vinrent à parler religion. Le rabbin s’étonna des vastes connaissances bibliques, historiques et hébraïques du Pape. Il lui avoua écrire des poèmes religieux, ce qui intéressa fortement le Pape qui lui demanda aussitôt de lui en montrer quelques uns.

Alors le rabbin lui confia : « En parlant de piyout (poèmes religieux), je ne peux m’empêcher de penser à celui écrit pour mon enfant enlevé alors qu’il avait 4 ans. »

« Puis-je le voir ? » demanda le Pape. En le lisant, le souverain pontife pâlit en reconnaissant les mots entendus dans son enfance et s’exclama « Père, père chéri ! ». Il se jeta dans ses bras.

Le rabbin répondit : « Comment puis-je t’appeler mon fils, maintenant ? Tu n’es plus mon fils ». Le Pape rétorqua : « Ne m’as-tu pas appris que dieu est plein de grâce envers son héritage ? Que si un Juif s’écarte du judaïsme, dieu dans son amour l’aide à y retourner ? Maintenant, je veux revenir à toi, à mon peuple, à Dieu ! »

Au collège des cardinaux du Vatican qui se tint quelques jours plus tard, tout le monde attendit en vain le Pape. On le chercha mais nul ne retrouva jamais sa trace. Personne n’aurait pu penser qu’il avait rejoint son peuple, le peuple juif persécuté.

Noémie Grynberg 2006